Entrevue : Manon Martel, ACTA-Qc, répond à nos questions

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Manon Martel, ACTA

La directrice du chapitre Québec de l’ACTA, Manon Martel, a répondu à l’appel d’Open Jaw Québec, vendredi dernier 12 février. Nous l’avons questionnée sur les enjeux actuels dans l’industrie, ses démarches, déceptions, victoires et espoirs.

Open Jaw Québec : Dans un communiqué que vous avez envoyé aux médias ce matin, on apprend que l’ACTA applaudit la décision de l’OPC de dispenser les agences et conseillers en voyages du Québec à payer les frais de permis à compter du 1er mars 2021 et jusqu’au 28 février 2022. Pouvez-vous nous rappeler combien ces frais représentent?

Manon Martel : Il y a les frais pour les CCV (certificats de conseiller en voyage), et c’est environ 30 $ par année. Il y a les frais de permis pour les agences, qui reposent sur le chiffre d’affaires de l’agence. Les coûts pour la reconduction de ce permis débutent à 307 $ pour une agence qui a un chiffre d’affaires de moins de 0.5 million $, puis sont de 410 $ pour 2 millions $ de chiffre d’affaires, et peuvent aller jusqu’à 1331 $ pour une agence de plus de 20 millions de chiffre d’affaires.

OJQ : Dans le contexte actuel où l’industrie assiste à des fermetures de portes parce que les voyages sont au neutre, y a-t-il vraiment matière à applaudir les instances qui peuvent venir en aide?

MM : Chaque petite victoire est importante. Depuis le début de la pandémie, on demande cette exemption des frais. Le TICO de l’Ontario, qui est comme le Québec une des trois provinces réglementées au Canada, avec la CB, avait annulé ces frais de permis dès le début de la pandémie, en plus d’autres initiatives d’aide pour les agences. Nous voulions aligner les façons de faire à celles de l’Ontario.

OJQ : En cette période catastrophique pour les voyages, pourquoi l’industrie doit-elle se battre autant avec les gouvernements? Pourquoi des associations comme l’ACTA doivent autant défendre notre industrie dans un contexte où il apparait évident qu’elle est touchée de plein fouet?

MM : Premièrement, au tout début de la pandémie, personne n’imaginait que la situation allait prendre une telle ampleur. Deuxièmement, on s’est rendu compte, en parlant aux différents paliers du gouvernement et aux différents ministères, qu’ils ne connaissaient tout simplement pas ce qu’était l’industrie du voyage. Le comment ça fonctionne. Ils n’avaient aucune idée. Aujourd’hui, ils commencent à comprendre mieux. Par exemple, nous avons poussé pour obtenir l’aide du programme PACTE tourisme, car ce programme s’adressait uniquement aux agences réceptives, et non aux agences expéditives. Nous devons faire comprendre au gouvernement qu’on fait partie de l’écosystème. On a réussi à gagner ce programme. Quant aux réunions que nous avons avec l’OPC et le Ministère de la Justice, leur réponse est toujours la même : on attend après le fédéral.

OJQ : C’est justifié?

MM : Au niveau des compagnies aériennes, oui, c’est le fédéral. Au niveau des tours opérateurs, l’aide peut provenir du provincial aussi. Nous demandons au fédéral de comprendre que les compagnies aériennes ne sont pas seulement celles qui doivent être prévues dans l’aide sectorielle. Les tours opérateurs aussi, entre autres.

OJQ : Qu’en est-il du rappel des commissions?

MM : On sait maintenant que pour que les compagnies aériennes reçoivent de l’aide du fédéral, il faut notamment que tous les passagers, dont le vol a été annulé à cause de la pandémie, soient remboursés. Et si les passagers sont remboursés, les agents doivent remettre les commissions. On leur explique que sur les 200 millions $ de commissions en jeu, seulement 50 millions $ concernent les billets d’avion. Les 150 millions $ restants, ça vient des tours opérateurs. On doit également leur expliquer que des commissions qui ont déjà été réclamées à ce jour, pour une bonne proportion, c’était du gagné de 2019, et les agences les avait déjà dépensées pour le loyer, les salaires et autres. Ils commencent à comprendre comment fonctionne notre industrie. Mais ce qui est inexplicable, c’est que la situation est la même partout dans le monde. Pas seulement au Canada. Et pourtant, de tous les pays du G7, le Canada est le seul pays qui n’a pas encore apporté de l’aide aux compagnies aériennes.

OJQ : Avez-vous trouvé votre explication?

MM : Ils nous répondent qu’ils travaillent là-dessus. Ils entendent ce qu’on leur dit, ils sont empathiques à notre cause, mais ils répondent toujours « on travaille là-dessus ». Le changement de ministre des transports a retardé les discussions. L’OPC attend après le Ministère de la Justice, qui attend après Ottawa.

OJQ : Dans le communiqué, vous faites également mention du désir de l’ACTA de voir les missions d’examen être remplacées par une déclaration de vérification. Qu’est-ce qui stimule ce souhait?

MM : Les missions d’examen peuvent coûter cher à une agence. Jusqu’à 1500 ou 2000 $ par année. Et elles sont plus laborieuses que la déclaration de certification. Le TICO a réussi à l’obtenir. Aussi, l’OPC demande quand même aux agences de faire ces missions d’examen, mais les agences n’ont pas de revenus en ce moment. On demande donc aux agences de payer pour ces missions mais les comptables n’ont rien à déclarer.

OJQ : Ce changement, vous le voulez temporaire donc? Tant que les agences n’affichent pas de revenus?

MM : Nous voulons que ce changement soit définitif. Comme le TICO l’a fait. À nouveau, nous souhaitons aligner le Québec à l’Ontario à ce chapitre.

OJQ : Existe-t-il une autre problématique de nature bureaucratique, pour les agences, résultant de la pandémie ?

MM : Une grande, oui. La plupart des agences ont des assurances pour le dépôt d’un montant d’argent en garantie. Mais actuellement, avec la pandémie qui sévit, plusieurs compagnies d’assurances ne veulent plus assurer les agences! Elles disent qu’elles sont trop à risque. Et les compagnies qui acceptent de les assurer ont augmenté leur prime de 200 %! D’autres associations comme celle des hôteliers me confirment que c’est également ce qui se passe dans leur domaine. Augmenter la prime de 200 %, c’est ridicule!

OJQ : Dans le communiqué toujours, il est indiqué que l’ACTA doit continuer de demander au gouvernement du Québec une aide dans le cadre de l’Aide aux entreprises en régions en alerte maximale (AERAM). À nouveau, rappelez-nous pourquoi l’industrie doit se battre dans ce dossier?

MM : Ce programme a été offert aux bars, restaurants et gyms parce que le gouvernement et la santé publique leur ont dit de fermer leurs portes, carrément. Sauf que nous, ce qu’on dit au gouvernement, c’est que les agences de voyage doivent être incluses, parce que même s’ils ne nous ont pas dit de fermer, on est fermés depuis mars. Et non seulement on est fermés, mais en plus, nous n’avons pas le choix de maintenir un employé en poste à l’agence, parce qu’avec tous les changements que le gouvernement met en place dans les voyages, nous devons, soit rapatrier les clients, soit les aider d’une autre façon. En fermant les frontières et en interdisant les vols, indirectement, ils ferment les agences. Le gouvernement oubli qu’il était bien content, en mars 2020, de nous savoir apporter de l’aide à nos clients pour qu’ils reviennent au pays. Et il s’est produit la même situation au mois de décembre dernier. Certains clients avaient réservé avec leurs crédits voyage et tout à coup, le gouvernement dit de ne pas voyager. D’autres annulations se sont pointées. Nous leur expliquons que les agences travaillent 5 ou 6 fois sur le même dossier. Sans être rémunérées.

OJQ : Avec toutes ces difficultés, l’industrie est-elle en train de se transformer en ce moment?

MM : Oui, effectivement. On voit une augmentation des agents indépendants. Dans les agences qui ferment actuellement leurs portes, on voit de plus en plus le ou la propriétaire de cette agence demeurer affilié(e) par exemple à TDC – qui a un programme pour les agents externes – ou un autre regroupement, pour continuer. La personne devient agent(e) indépendant(e) pour pouvoir continuer mais sans tout le poids d’un loyer, de frais fixes et tout ça. Plusieurs agences fusionnent également en ce moment. Plusieurs sont rachetées, indirectement par d’autres, donnant lieu à des fusions.

OJQ : Le bassin diminue donc?

MM : L’OPC nous informe qu’en janvier 2020, on comptait 796 agences. En ce début février, ce nombre est passé à 682 agences. Du côté des conseillers en voyage, on en comptait 13 000 avant la pandémie. On en compte maintenant 11 000.

OJQ : Sommes-nous en train de voir partir une précieuse expertise?

MM : Malheureusement, oui. Il y a actuellement des agents, qui sont dans l’industrie depuis 25 ans, et qui décident de quitter l’industrie. Ce que j’entends en ce moment, c’est que tous ceux qui sont partis se sont replacés ailleurs. Je suis contente pour eux, mais ce sont des personnes compétentes que l’industrie est en train de perdre en ce moment. Plusieurs agents qui ont été mis à pied ne reviendront jamais dans l’industrie.

OJQ : Que dit votre boule de cristal sur l’après pandémie?

MM : La firme Léger fait des sondages qui révèlent qu’au lendemain de la pandémie, les Québécois et les Canadiens voudront, en premier, se rencontrer en famille, voir des amis, faire des BBQ, et en deuxième, voyager. Alors l’industrie, qui perd actuellement des joueurs importants, et bien il faudra qu’elle soit encore vivante. Pour cette raison, on demande au gouvernement d’élaborer un plan d’action en ce sens. Les consommateurs auront besoin d’un agent, et encore plus qu’avant ! Il y a un point positif à cette pandémie, c’est que les consommateurs se rendent compte en ce moment que faire affaire avec une agence les aurait bien aidé quand il y a eu les annulations massives de vols et les fermetures de frontières, et qu’ils n’étaient pas capables de revenir. Beaucoup de consommateurs se sont rendu compte que pour voyager sans souci, ça prend de l’aide des professionnels. D’autant plus que quand le voyage va reprendre, il y aura encore plusieurs restrictions. Aussi, chaque destination travaille très fort en ce moment pour déployer des mesures de sécurité et instaurer leurs exigences auprès des voyageurs. Et tout ça, ça ne sera pas nécessairement indiqué dans un site Web. Les consommateurs auront besoin de parler à un professionnel.

OJQ : Un message à l’industrie, en terminant?

MM : Préparez-vous pour le post-Covid!

Manon Martel rappelle que l’ACTA continue d’offrir ses webinaires et autres programmes de formation et de spécialiste gratuitement à tout le monde, membres et non membres de l’association. « L’ACTA travaille pour toutes les agences et tous les conseillers en voyage. » de conclure Manon Martel.