Rep dom version 2020 et 2021. Entrevue avec Cosette Garcia

Cosette Garcia, directrice de l’Office de promotion touristique de la République dominicaine de Montréal

J’ai géré. Je gère. Je gérerai. Comment l’une des trois destinations sud préférées des Québécois a conjugué, conjugue et conjuguera avec la pandémie et toutes les conséquences qui viennent avec. Immersion dans une philosophie… de survie?

Open Jaw Québec a passé une heure à discuter avec Cosette Garcia, la directrice de l’Office de promotion touristique de la République dominicaine de Montréal.

Open Jaw Québec : Comment la République dominicaine a-t-elle réagi à l’annonce du Canada de cesser tous ses vols jusqu’au 30 avril? Dans le contexte où les autres pays, comme les É-U, n’ont pas manifesté d’intention en ce sens?

Cosette Garcia : Nos autorités et les hôteliers ont accueilli cette annonce avec beaucoup de préoccupation, parce que le Canada est le 2ème marché le plus important pour la République dominicaine. Et cela représente une grande quantité de visiteurs fidèles. Les secteurs nord du pays, incluant Puerto Plata et Samana, qui sont très populaires auprès des Canadiens, ont été très préoccupés. Mais c’est comme ça : certains pays ont plus de restrictions que d’autres. Nous avons été tristes d’apprendre cette décision mais nous avons compris que le Canada jugeait que c’était ce qu’il fallait faire.

OJQ : Est-ce que la RD juge que le Canada aurait pu faire les choses autrement? Sans annuler tous les vols?

CG : Nous ne jugeons pas. La RD respecte la décision du Canada.

OJQ : Y a-t-il un ou d’autres pays qui, comme le Canada, ont annulé tous leurs vols vers la RD pour un temps déterminé?

CG : Oui. Il y a le Chili. La Belgique et les Pays-Bas n’ont pas de vols directs vers la RD depuis le 18 mars 2020. Le Royaume-Uni a annulé ses vols jusqu’au 27 mars, avec possibilité de prolongation. L’Argentine avait annulé mais a repris ses vols.

OJQ : Quel est l’impact d’une annulation d’une grande partie de la saison pour le pays? Causée notamment par la décision du Canada?

CG : C’est difficile à quantifier. L’absence des Canadiens aura beaucoup d’impact. Mais nous recevons des touristes d’autres pays et cela nous aide à compenser la perte.

OJQ : Est-ce que, comme le Mexique a tenté de le faire, la RD a essayé de dissuader le Canada d’arrêter tous les vols?

CG : Oui. Notre ministre a tenu des réunions avec l’ambassade du Canada en RD. Notre nouvelle ambassadrice, Michelle Cohen, est venue au Canada à la fin janvier, et dès qu’elle a appris la nouvelle, nous nous sommes réunis pour en discuter. Madame Cohen a fait des démarches auprès d’Ottawa en représentation du Président. Mais nous devions respecter cette décision.

La santé de l’industrie en ce moment

OJQ : Comment se porte l’industrie du tourisme, actuellement, en RD?

CG : Notre industrie touristique est sur le point de se redresser. Le tourisme a été l’un des secteurs les plus durement touchés par la pandémie. Toutefois, au cours des derniers mois, il y a eu une résurgence dans le pays. Un décollage important dans ce secteur est évident, en particulier en ce qui concerne les investissements dans les projections de certaines destinations, rénovations, constructions, du gouvernement et du privé, dans le District National et dans les provinces qui sont des références touristiques.

OJQ : Quel est le taux d’occupation moyen dans les hôtels de vacances?

CG : Le taux d’occupation en hôtel a clôturé 2020 avec une moyenne de 40,5 %.

OJQ : En temps normal, combien d’employés travaillent directement dans le tourisme?

CG : Environ 500 000.

OJQ : Et sur ces 500 000 emplois, combien ont été récupérés?

CG : À la réouverture en juillet 2020, le secteur avait récupéré plus de 100 000 emplois. En février dernier, c’était environ 200 000. C’est pour nous un signe de la reprise du tourisme.

OJQ : Quelles sont les protocoles mis en place pour accueillir les voyageurs?

CG : Dans les aéroports et autres points d’entrée, nous effectuons un test d’haleine rapide aléatoire à une quantité comprise entre 3 % et 15 % des passagers, et à tous ceux qui présentent des symptômes à leur arrivée. Les passagers qui proviennent du Royaume-Uni doivent présenter un certificat négatif du test PCR de la COVID-19 délivré au plus tard 72 heures avant le voyage. Sans le certificat négatif du PCR, ils sont soumis à un test et sont mis en quarantaine de sept jours dans un établissement gouvernemental, à leurs propres frais.

OJQ : Pourquoi ce protocole particulier pour le R-U ? C’est à cause du variant?

CG : Oui.

OJQ : Mais les variants proviennent d’autres pays aussi? Comme le Brésil et l’Afrique du Sud. Vous n’avez pas de touristes d’Afrique du Sud?

CG : Oui, nous avons des touristes d’Afrique du Sud et du Brésil aussi. Mais cette mesure en place pour le R-U s’explique du fait que c’est le pays le plus durement touché par les variants. Cela dit, peut-être prendrons-nous d’autres décisions dans le futur, par rapport au Brésil par exemple.

OJQ : Combien de visiteurs étrangers la RD a-t-elle accueillis en 2020?

CG : Avant la pandémie, exemple en 2019, la RD recevait 6 446 000 touristes en une année. En 2020, nous avons accueilli un peu plus de 2 millions de voyageurs.

OJQ : Comment avez-vous réussi à accueillir plus de 2 millions de voyageurs durant l’année qu’on appelle « l’année COVID »?

CG : L’ouverture de la destination a eu lieu le 1er juillet 2020. Et le président Abinader a motivé le secteur hôtelier à rouvrir ses installations le 1er octobre 2020. Aussi, on a réussi ça parce que nous avons eu beaucoup d’aide avec le marché américain, qui n’a jamais vraiment cessé ses liaisons.

OJQ : Comment expliquer que la RD n’a pas cessé d’accueillir des touristes provenant du pays qui compte le plus de personnes infectées à la Covid dans le monde, le plus de morts aussi et dont la gestion de la pandémie est l’une des plus critiquées dans le monde?

CG : Parce que nous avons mis en place un protocole touristique dès la réouverture de la RD en juillet 2020. Au début, nous avions instauré le test PCR, mais nous avons dû annuler cette procédure parce que nous avions des difficultés d’approvisionnement. Nous avons ensuite décidé d’instaurer, dans tous les aéroports et autres points d’entrée, des tests d’haleine rapide de façon aléatoire. Et depuis, je dois vous avouer que nous n’avons aucun problème! Nous avons si bien réussi que l’OMT a reconnu le succès dans notre façon de gérer la situation de la Covid dans le secteur touristique.

Arrivées des voyageurs en République dominicaine en 2020 (un aperçu)

Mois           Canada      États-Unis           Brésil           Angleterre           Italie

Janvier         137 330      126 871               10 959        11 977                 11 036

Février         139 788      148 184               8 010          10 595                 8 100

Mars             62 041        80 153                 3 966          4 998                   711

Avril              –                  9                          –                  –                           –

Mai                –                  56                        5                 –                           –

Juin               –                  167                      –                  –                           9

Juillet            677             46 207                 24               140                     305

Août            1 164          41 237                 110             117                      285

Septembre  1 086           36 961                 101             124                      336

Octobre       1 834          49 551                 604             224                      452

Novembre    3 711          66 732                 1 152          327                      626

Décembre    10 321        113 644               2 617          1 381                   970

 

OJQ : La RD a-t-elle envisagé une quarantaine des voyageurs? À leur arrivée dans le pays?

CG : Non. Parce que notre protocole est stricte et nous avons instauré l’assurance Covid gratuite qui assure les traitements en cas de maladie. Et cela aide les hôteliers : si un voyageur fait le test à l’aéroport et qu’il se révèle positif mais asymptomatique, il doit aller faire sa quarantaine à l’hôtel, et toutes les infos sur cette personne doivent être transmises au ministère de la santé pour le suivi. Si une personne commence à avoir des symptômes, elle sera transférée dans une section Covid de l’hôtel – un autre protocole mis en place par le ministère – pour traiter ce type de client. Cette personne malade recevra des soins qui sont couverts par cette assurance. Comme vous voyez, nous nous sommes bien préparés pour répondre à toutes les situations.

OJQ : C’est admirable!… mais tout de même incroyable qu’un pays, une île de surcroit, accepte d’instituer tous ces protocoles pour accueillir des touristes, mais accepte aussi de prendre de tels risques? Quand on sait que le virus peut prendre des jours avant de manifester ses symptômes et que les tests aux aéroports sont aléatoires? Expliquez-moi…

CG : Oui, effectivement. Mais pour la RD, une fermeture depuis mars 2020 aurait été quelque chose de vraiment difficile. Il y a plus de 500 000 emplois directs dans ce secteur (500 000 travailleurs sur une population de 10 900 000) et principalement dans le secteur des hôtels. Et c’est sans compter les emplois indirects. Donc oui le pays a cherché des opportunités, mais avec des protocoles.

Bord de mer à Punta Cana, RD. Crédit photo: Isabelle Chagnon

OJQ : Et quelles sont les autres règles que les hôtels doivent suivre?

CG : Ils ne peuvent accueillir plus de 60 % de leur capacité afin de pouvoir respecter les mesures de distanciation sociale. Ils ont aussi le devoir de prévoir plusieurs services de repas à l’extérieur.

OJQ : Et les buffets? Ils ont disparu?

CG : Non, car les hôtels ont installé des plexiglass autour des buffets et du personnel offre le service de la nourriture.

OJQ : Tous les hôtels ouverts en ce moment doivent suivre le même protocole? Et avoir une section réservée au cas où des clients voyageurs tomberaient malades ou auraient des symptômes?

CG : Oui. Plusieurs offrent le service des tests PCR pour les touristes aussi. De plus, toutes les deux semaines – ou chaque semaine, selon l’établissement, l’hôtel doit faire un PCR à tous les employés pour que ceux-ci puissent continuer d’y travailler. Le masque est obligatoire partout, pas seulement dans les endroits intérieurs. Le ministère a beaucoup misé sur l’instauration rapide de ces protocoles dans les hôtels.

OJQ : Depuis quand?

CG : À la mi-septembre 2020. La nouvelle administration du pays est arrivée le 16 août et toutes ces mesures sont entrées en vigueur le 15 septembre.

OJQ : Raison de plus pour que la RD ait une grande déception suite à la décision du Canada d’arrêter tous les vols jusqu’à la fin avril, non?

CG : Oui. Mais on doit respecter la décision. Comme le gouvernement canadien a mis une date, nous avons espoir que vers cette date, les choses vont redémarrer. Nous avons aussi beaucoup d’espoir avec le vaccin.

Punta Cana, RD. Crédit photo: Isabelle Chagnon

Vaccins = touristes

OJQ : On prédit effectivement que la reprise du tourisme est étroitement liée aux campagnes de vaccination. Comment ça se passe actuellement en RD?

CG : Le 15 février, nous avons lancé un Plan national de vaccination, l’un des plus ambitieux d’Amérique latine. La RD a acheté 20 millions de doses, dont 10 millions auprès d’AstraZeneca, 8 millions auprès de Pfizer et 2 millions auprès du système COVAX de l’OMS. La RD a une réservation avec Sinovac pour 8 millions de vaccins supplémentaires. D’ici la fin du mois de juin, notre président Abinader espère que 80 pour cent de la population dominicaine sera vaccinée. En date d’aujourd’hui, 400 041 personnes ont été vaccinées. En ce moment, nous vaccinons la population générale de 70 ans et plus.

OJQ : Et les tours opérateurs québécois? Des discussions sont-elles en cours? Le Canada est-il en train de perdre une part de marché au profit des Américains par exemple? Le Canada va-t-il perdre quelque chose, quelque part, à cause de cette fermeture actuelle? Les tours opérateurs vont-ils perdre un statut privilégié dans les négociations avec les hôtels?

CG : Non, car nous savons très bien que c’est la pandémie qui est responsable. Le Canada est important et les hôteliers sont en attente des Québécois. Tout le monde attend : les hôtels, la destination, le ministère, tout le monde! Nous sommes toujours en communication avec nos voyagistes pour créer des plans et des stratégies à mettre en œuvre lorsque tous les vols seront rétablis.

La relance et les séquelles positives

OJQ : Au chapitre du plan de relance, outre la vaccination de masse et les protocoles sanitaires, est-il prévu des campagnes marketing et publicitaire?

CG : Oui, mais nous devons attendre en ce qui concerne le Canada. Nous continuons de faire du marketing digital, mais nous sommes en attente de lancer une promotion agressive, idéalement en avril, si le gouvernement canadien bien sûr indiquera une ouverture des vols. Nous continuons de faire rêver les gens pour le futur, et le futur, avec le Canada, c’est le mois de mai, en principe. On est en attente des instructions du gouvernement pour savoir si vraiment ils vont relancer les vols en mai et quelles seront les restrictions à ce moment-là.

OJQ : En terminant, la pandémie est-elle en train de modifier quelque chose pour toujours, dans le secteur du tourisme de la République dominicaine?

CG : Oui, et c’est au niveau des protocoles sanitaires. En ce moment,  notre industrie touristique suit une formation intense sur les mesures sanitaires. Et ces mesures resteront.

Le secteur du tourisme représente 15 % des ressources économiques du pays.

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Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.