Tulum, Puerto Vallarta, Riviera Maya et Cancun. Les Canadiens ne peuvent plus y aller, en ce moment, mais il s’y trouve quand même des touristes étrangers. Zoom sur le Mexique vu de l’intérieur, en temps de pandémie.
L’émission L’heure du monde de la radio de Radio-Canada diffusait il y a deux jours un reportage choc sur une réalité inquiétante qui se vit en ce moment au Mexique. La journaliste indépendante Alix Hardy a parcouru les stations balnéaires et régions touristiques de ce pays pour constater ce qu’on ne souhaite pas voir.
Le Mexique : un refuge où faire abstraction du coronavirus
Le reportage commence dans la jungle près de Tulum où une grande fête dite clandestine se déroule en plein air dans un lieu dit secret un certain soir de janvier 2021.
La journaliste interroge une touriste, Sara, 31 ans, New-yorkaise, qui participe à la fête : « c’est tout près du village. Franchement je ne vois pas comment la police ne pourrait pas être au courant. C’est une soirée qui rassemble au moins 300 personnes. Tout le monde danse, transpire collé les uns aux autres. C’est comme si je fais un voyage dans le temps et l’espace. »
Puis on y va d’infos factuelles : le tourisme représente près de 9 % du PIB du Mexique. Dans un pays où 6 travailleurs sur 10 n’a pas d’emploi formel, et où le gouvernement n’a pas mis en place une aide économique, les autorités ont fait le pari de ne pas fermer le pays aux touristes. La journaliste constate que pour entrer au Mexique, il ne faut ni test négatif, ni quarantaine.
Elle interroge le directeur du tourisme de Puerto Vallarta, Ramón González : « Puerto Vallarta n’a pas d’autres ressources que le tourisme, qui représente 99 % de ses revenus. Donc pour nous la pandémie a eu des conséquences très graves. Des milliers de paniers alimentaires ont été distribués à la population locale. Les files étaient interminables. »
Une piste de réflexion se pointe : faut-il jeter la pierre au Mexique?
Le reportage se poursuit.
Après un confinement très respecté au printemps dernier, durant lequel le tourisme a chuté de 90 %, le Mexique a décidé d’allier économie et restrictions sanitaires. Des hôtels fournissent des tests de Covid aux clients et certains proposent même des formules avec chambre gratuite en cas de quarantaine.
Une autre touriste est interrogée : une fille du Minnesota, qui dit avoir quitté les – 20 degrés C de sa ville américaine pour venir prendre de la chaleur au Mexique, « mais il fait trop chaud pour porter le masque. Et ici ils ne sont pas aussi stricts que chez nous. »
Le directeur du tourisme de Puerto Vallarta se dit dépassé par le comportement des touristes : « les touristes nous posent un sérieux problème. On dirait qu’ils sont arrivés au paradis et qu’ils n’ont plus besoin de se protéger. Ce qui nous préoccupe le plus c’est qu’on pensait que les touristes étrangers seraient un exemple de conduite pour nous. Ils savent très bien ce qui se passe, ils viennent de pays qui ont beaucoup soufferts et pourtant, on dirait qu’ils s’en fichent complètement. »
Christina, une chercheuse en anthropologie qui a étudié l’impact de la pandémie à Cancun et sur le tourisme de la Côte Caraïbes, se prononce : « les grands centres touristiques sont dominés par une logique capitaliste. Ils représentent, dans l’imaginaire des gens, un lieu où l’on vient s’échapper des problèmes du quotidien. Et dans cet espace, les rapports entre touristes et population locale sont régis par une logique de pouvoir. C’est devenu plus visible encore avec la pandémie : le touriste vient pour qu’on s’occupe de lui. »
Que fait la population locale?
Le reportage se poursuit et fait état de ce constat : face aux touristes insouciants, la population locale se résigne.
Un serveur dans un bar resto est interrogé : « Les gens sont plutôt résignés ici. Ils se disent « ne disons rien aux touristes et ils continueront de venir pour faire ce qui leur chante. » C’est notre triste réalité. Il y a plein de fêtes et de soirées privées en ce moment et personne ne dit rien. Ça nous arrange mais en même temps ça nous met en danger. Je n’étais pas très heureux d’apprendre que certains clients qui étaient au bar, il y a encore une semaine, avaient contracté la Covid. Je suis le pilier économique de ma famille, donc je fais très attention. »
Une seconde piste de réflexion se pointe : peut-on en vouloir à un homme qui doit nourrir sa famille?
On souligne que malgré les inquiétudes, jusqu’ici, Puerto Vallarta a échappé à la catastrophe sanitaire.
Ramón González poursuit : « ici à Puerto Vallarta, on n’a pas eu de situation réellement alarmante et tous les autres directeurs du tourisme au pays sont bien affolés. Par exemple, celui de Cancun me dit que chez lui, les chiffres ont flambé au début de l’année. La Riviera Maya aussi. Nous on y a échappé jusqu’ici, Dieu merci. »
La journaliste confirme: le virus circule bel et bien sur les plages mexicaines.
Les infections sont en hausse dans les états touristiques du pays. Sara, qui a séjourné à Tulum, n’est pas surprise : « il y a tellement de gens qui ont attrapé la Covid à Tulum. L’amie qui m’accompagnait, a perdu le goût et l’odorat. On ne sait pas quand exactement elle l’a attrapée. Franchement, c’est dur à dire quand tu passes 5 jours à faire la fête. La Covid est partout à Tulum. Le mode de vie est complètement irresponsable. »
Le reportage pose ce regard : la pandémie n’a rien inventé. Elle a exacerbé les limites du modèle touristique qui domine au Mexique, explique Cristina, antropologue : « avant que la pandémie submerge la planète, il y avait déjà un débat sur les limites du tourisme de masse. La pandémie a mis ce modèle en échec et accéléré le besoin de trouver des alternatives. Il faut imaginer un tourisme qui ne soit pas aux mains des grands tours opérateurs internationaux. Mais plutôt un tourisme communautaire qui permette un meilleur rapport à l’environnement et entre le touriste et la population locale. »
La journaliste rappelle que face à la permissivité du Mexique, les sanctions sont venues de l’extérieur. À commencer par le Canada, qui, comme on sait, a suspendu tous ses vols sur le Mexique et les Caraïbes jusqu’au 30 avril.