Pandémie & tourisme : pourquoi les fournisseurs peuvent être poursuivis

Maître Marc Vaillancourt, du cabinet Vaillancourt Riou & Associés

Dossier spécial. La pandémie n’est pas terminée. Et un fournisseur de produits et/ou de services touristiques s’expose à des poursuites judiciaires s’il est trouvé coupable de négligence ayant causé l’infection à la Covid d’un client.

C’est une lecture attentive du Plan de sécurité sanitaire Covid-19 de l’industrie touristique, émis par l’Alliance Touristique du Québec, qui nous l’apprend.

Open Jaw Québec a voulu en savoir plus sur les notions de responsabilités et s’est donc entretenu avec l’avocat Maître Marc Vaillancourt, dont le cabinet Vaillancourt Riou & Associés a été consulté par l’Alliance Touristique du Québec pour l’élaboration de ce Plan.

Open Jaw Québec : Dans un premier temps, pourquoi le ministère du Tourisme et l’Alliance Touristique ont fait appel à un cabinet d’avocats, le vôtre, pour élaborer ce plan et les formulaires qui y sont désignés, dont l’Engagement à se conformer du client? Le recours à un cabinet d’avocats indique-t-il qu’avec cette pandémie, nous sommes particulièrement dans un contexte susceptible de litiges, de débats en matière de droits?

Maître Marc Vaillancourt : La raison pour laquelle nous sommes intervenus dans ce Plan de sécurité sanitaire, c’est que quand la pandémie s’est déclarée, nous avons été appelés à élaborer des plans d’urgence pour des entreprises identifiées essentielles (papier et foresterie). L’industrie du tourisme a eu vent de notre implication dans ces dossiers et, comme tout était nouveau pour tout le monde, l’Alliance nous a demandés si elle pouvait appliquer les composantes de nos plans d’urgence, dans le domaine du tourisme.

OJQ : Sur quelles bases deviez-vous travailler?

MMV : Les directives de la Santé Publique et les normes de la CNESST. Cette Commission est intervenue rapidement parce que les travailleurs devaient être protégés. Nous avons adapté leurs principes de sécurité au secteur du tourisme, parce que le secteur touristique devait pouvoir entrevoir un jour la réouverture de ses services.

OJQ : Les fournisseurs ont-ils accueilli favorablement tout ce qui est recommandé et dicté dans ce Plan?

MMV : Une des premières questions qui nous a été adressées est : « est-ce qu’on est obligés de se soumettre à ce plan ? » La réponse est oui. Parce que 1, la CNESST oblige les employeurs de tous les domaines à avoir un milieu de travail sécuritaire pour les travailleurs, 2, des entreprises touristiques ont été affectées par des cas de Covid.

Extrait du Plan de sécurité sanitaire Covid-19 de l’industrie touristique

OJQ : La question qui tue : comment expliquer qu’une entreprise touristique peut être poursuivie par un client qui va et qui vient, qui arrive d’un ailleurs et repart vers un autre ailleurs, et qui juge avoir été infecté dans son établissement, par un virus volatile et invisible?

MMV : Pour répondre et comprendre, il faut se plonger dans les principes de la CNESST. Elle peut émettre des amendes si une entreprise n’a pas des règles conformes de protection sanitaire, et cette responsabilité s’applique aussi à la clientèle. Est-ce qu’une entreprise peut être trouvée coupable? C’est une question de preuve. Et dans une poursuite en matière criminelle, à l’inverse de la poursuite en matière civile, on ne recherche pas à avoir de l’argent; on veut punir quelqu’un qui n’a pas respecter le code.

Dans un cas d’infection à la Covid, il faudra démontrer les dommages causés par cette infection, comme une perte d’un salaire pour la personne. Il faudra démontrer la faute de l’établissement, comme par exemple ne pas avoir mis en place des mesures de protection. Il faudra aussi démontrer s’il y a un lien de causalité entre la faute et le dommage. Un autre défi : comment on peut faire la preuve qu’on a attrapé le virus à un endroit donné? La preuve devra démontrer hors de tout doute raisonnable, en matière de négligence criminelle, que l’établissement a été insouciant et téméraire à l’égard de la santé et sécurité d’autrui.

OJQ : Pour avoir discuté du sujet avec différentes personnes, nous constatons que peu de gens croient à cette possibilité de faire la preuve qu’un établissement est tenu responsable d’une infection d’un client. Et cette responsabilité, n’est-elle pas répartie? Entre l’établissement et le visiteur?

MMV : Oui, vous avez raison. En fait, tout le monde a raison. Tout le monde peut avoir sa propre interprétation. Mais il est quand même possible de faire un état des lieux de base de ce qui a été fait ou non, dans un établissement, en matière de normes de protection des usagers. Si je suis un juge et qu’on m’amène la preuve que la distance physique n’était pas une procédure implantée dans l’établissement, qu’il n’y avait pas d’endroit pour se laver les mains, etc., oui, la responsabilité de l’établissement peut être facilement démontrée.

Par ailleurs, pour tout acte criminel, deux choses doivent être démontrée : 1 – que la personne a commis quelque chose à l’encontre de la loi, 2- qu’il y a eu intention de. De plus, la négligence criminelle s’applique même s’il n’y a obligation de démontrer qu’il y a eu une intention de faire quelque chose de mal. La preuve consistera alors à démontrer que l’établissement s’est mis dans une situation telle qui peut avoir provoqué la situation. Et si la démonstration est fait, il sera trouvé coupable.

Extrait du Plan de sécurité sanitaire Covid-19 de l’industrie touristique

OJQ : Un mot sur les droits de la personne, que les gens réclament, entre autres, pour prétendre être dans leur droit de ne pas porter un masque. Comment s’y retrouver?

MMV : Le droit de revendiquer est légal. Ce n’est pas là-dessus qu’il y aura étude. Le point porte davantage sur est-ce que les personnes peuvent ne pas respecter les décrets gouvernementaux? Je peux vous dire qu’en urgence sanitaire, les juges vont être très attentifs à la protection des citoyens et non au respect des droits des individus en vertu de la charte. La charte tombe deuxième en urgence sanitaire.

OJQ : En temps de pandémie, qui prend le plus gros risque? Le voyageur qui se promène d’un endroit à un autre? Ou l’établissement qui l’accueille?

MMV : Ça dépend de votre définition du risque. Le risque pour qui? Le risque pour la personne? Pour que l’établissement reste ouvert? Car quand on parle de risque, on doit définir sa définition. Dans le tourisme, le risque est proportionnel aux mesures de sécurité que tu mets en place. Car il est évident que ce virus se promène.

OJQ : Le citoyen est souvent paresseux. Il aime beaucoup cette idée de présumer que l’établissement a déjà tout fait pour sa sécurité. Il se décharge ainsi de cette responsabilité de questionner et vérifier si les mesures de sécurité sont en place. Pour cette raison, n’est-il pas à propos de remettre en question la responsabilité du citoyen? Dans un cas de pandémie?

MMV : Il y a une responsabilité partagée, entre le citoyen et l’établissement ou le gouvernement. Un citoyen qui n’entreprend pas une démarche pour s’informer des mesures en place, ou qui réalise que dans tel établissement, les mesures ne sont pas respectées, et qu’il y va quand même, on parlera ici d’acceptation des risques. Par contre, il faut faire attention à cette volonté de déposer au citoyen une responsabilité, parce qu’il peut y avoir cette situation où le citoyen accorde sa confiance à l’établissement à l’effet qu’il a mis les mesures sont en place. Tout le monde est responsable. Et oui, le citoyen doit pouvoir se fier à ce que les gens/établissements sont tenus de faire.

OJQ : Est-ce que le tourisme se révèle un domaine particulier au chapitre de la sécurité sanitaire en lien avec la Covid?

MMV : Oui, le tourisme est un domaine différent. Très pointu. Parce qu’on fait affaire avec une clientèle. Le Plan se devait d’encadrer la protection des travailleurs, mais aussi d’une clientèle. Le domaine du voyage est également très particulier parce que les gens arrivent de partout et parce qu’il implique énormément de monde! On ne parle pas seulement des campings, mais de tout un éventail d’hébergements notamment. Et on parle de gens qui font plein de choses différentes.

Ce domaine est aussi très particulier parce qu’on se souvient que pendant un bon moment, on avait peur des touristes.

Une autre particularité, c’est que le tourisme est un domaine saisonnier, pour plusieurs entreprises. Beaucoup de gens ont mis et mettent encore leur vie sur la table avec les suspensions d’activités. Il nous fallait donc encadrer ce domaine de la meilleure façon légale qui soit pour que les gens puissent obtenir la confiance du gouvernement, afin que celui-ci autorise, avec la Santé Publique, l’ouverture de leur secteur.

Article précédentHôtellerie & pandémie : l’Hôtel Le St-Germain de Rimouski au banc d’essai
Prochain articleFin de la quarantaine à l’hôtel dès juillet
Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.