Les voyages de la dite Bucket List meubleront beaucoup, et de plus en plus, les discussions avec les voyageurs. Voici pourquoi et comment, en tant que conseiller en voyage, aborder le sujet avec son client.
L’erreur d’interprétation à éviter
Abordons d’emblée un phénomène assez rigolo qui se répand sur le Web, celui où, dans de très nombreux sites Internet et blogues voyage, des auteurs et même fournisseurs voyage mettent côte à côte « votre Bucket List » et « voici nos suggestions » dans la même phrase ou la même idée.
Ou encore des titres friendly-branchés comme « voici telle chose que tu dois mettre ABSOLUMENT sur ta Bucket List! »…
Entrevoir le voyage de la Bucket List sous cet angle, et vendre l’idée que le sujet s’aborde ainsi, risque de créer beaucoup de frustrations et déceptions chez le client voyageur.
Car le voyage de la Bucket List n’est pas qu’« un grand voyage » au sens à-l’autre-bout-du-monde du terme, ni qu’un voyage hyper luxueux.
Un voyage de la Bucket List, c’est ce périple qu’une personne rêve depuis un bon bout de temps, cette sensation que quelqu’un cherche depuis longtemps, cette aventure que le phantasme personnel cogite précieusement, cette chose qui loge dans les tripes et que la rêverie fermente petit à petit.
Autrement dit, un voyage de la Bucket List, c’est personnel! Il ne s’agit pas de construire un voyage dit de rêve en calquant sur les envies et désirs des autres.
Une force morale et bonne connaissance de soi
Bien que, dans son blogue Carry the beautiful, la blogueuse Anne-Marie signe cet article qui ne fait pas l’éloge de la Bucket List à saveur de voyages, elle décrit néanmoins bien cette erreur à éviter :
« La bucket list voyage est souvent influencée par les dictats de la société. Ce que les autres font, les expériences qu’ils tentent, les photos de voyage partagées par les influenceurs sur les réseaux sociaux, tout cela a une incidence sur ce que l’on perçoit comme ayant de la valeur, comme étant worthy of getting accomplished.
« On tend à se comparer avec l’image que d’autres projettent et, inconsciemment, on pense que nos envies et ce que nous sommes ne sont pas assez.
« Et ainsi s’ajoutent des items à la bucket list voyage sans qu’on ait pris le temps de s’interroger sur notre désir réel de réaliser telle ou telle chose. Ça prend une certaine force morale et une bonne connaissance de soi pour réussir à se dire que c’est cool pour les autres, mais que cela ne correspond pas à la personne que je suis réellement. »
Mettre le doigt sur le voyage Bucket List
Votre client adhère à l’idée et est partant pour construire et entreprendre un voyage de la splendeur d’une Bucket List? Mais ne sait pas trop comment le pointer du doigt?
Voici quelques suggestions de questions à lui poser :
-vous êtes fan de quoi? (un film ou genre cinématographique, un genre musical ou culinaire spécifique, un environnement particulier, un mode de vie quelconque, une passion artistique…)
-vous êtes fan de qui? (un artiste, un personnage historique, un héros…)
-décrivez-moi le moment où vous vous êtes senti le plus heureux et totalement euphorique ces cinq dernières années?
-quand vous feuilletez des magazines voyage ou regardez des émissions sur les voyages, qu’est-ce qui vous fait normalement saliver? Sur quoi portait cet article dont vous avez arraché les pages pour les consulter à l’infini?
-à quoi rêvez-vous depuis longtemps? Ou même toujours?
-à quelle folie secrète rêvez-vous?
-que veux dire pour vous le mot « aventure »?
-si vous effaciez toutes les contraintes et craintes qui dictent normalement vos plans de voyage, à quoi ressemblerait le voyage que vous souhaiteriez réaliser dans votre vie?
Pourquoi la Bucket List suscite la discussion en ce moment
Dans son billet « Un nouveau tourisme » publié ici, Jean-Michel Perron, figure critique bien connue dans notre industrie, consultant et à la tête de la firme-conseils PAR, explique : « une portion élevée de voyageurs durant le confinement réalisa la fragilité de la vie, l’importance de la nature dans nos vies et la chance que nous avons de voyager.
« Un tourisme plus lent, plus vert, plus long comme en train, en vélo ou en auto priorisant les expériences locales, la Nature et le mieux-être va devenir un comportement généralisé. On va réapprendre à voyager autrement.
« Avant mars 2020, le monde était devenu un supermarché touristique, approvisionné en lieux merveilleux, mais dont l’authenticité que le voyageur y cherche pour se convaincre qu’il a fait une découverte extraordinaire et qu’il n’est pas un touriste, est souvent contestable et relève de la mise en scène.
Jean-Michel Perron ajoute que dans ce nouveau cadre philosophique, des tendances s’accélèrent, dont celle-ci:
Les « Voyages à faire avant de mourir: certains touristes vont abandonner les voyages longue distance, mais de nombreux autres sont à planifier les voyages «de leur vie», une courte liste de longs séjours. La géniale application de l’agence américaine Virtuoso frappe en plein dans ce segment très prometteur. »
Monsieur Perron évoque également qu’en tourisme, la crise actuelle de la pandémie a provoqué des « accélérants de tendances préexistantes », dont voici la liste :
- L’appel de la forêt, de la nature
- Le «slow tourism»
- Voyages à faire avant de mourir (bucket list)
- Voyages de sens
- Surtourisme et tourismophobie
- Écart de richesses entre les touristes
Cette nouvelle « ère catastrophe » qui propulse la Bucket List
Dans une entrevue réalisée par Open Jaw Québec en février dernier, une autre figure bien connue de notre industrie, José Leroux, expliquait ceci :
« Au lendemain de la pandémie, il y aura aussi possiblement plus de voyages à l’international. Je m’explique : beaucoup de gens ont vu tout d’un coup que leur chance de réaliser les voyages de leur Bucket List s’éloignait. Certaines personnes vont vouloir reprendre de l’avance.
« Et en général, les voyages qu’on inscrit sur notre Bucket List, ce ne sont pas ceux qui nous amèneront à aller en Floride.
« Je pense que l’urgence de réaliser le ou les voyages de nos rêves va être accélérée. Peut-être pas pour tout le monde, mais en tout cas pour ceux qui en ont les moyens.
« Pour ces personnes, les lendemains de la pandémie seront le moment de faire ce voyage de Bucket List, avant qu’une autre catastrophe survienne. Parce qu’on dit aussi que la Covid, c’est peut-être le bébé qui arrive avant les parents. »
Bucket List mouvante
La Bucket List d’hier peut ne plus ressembler, du moins en partie, à celle d’aujourd’hui. Les souhaits changent parce que les gens changent. Et les gens changent parce que la vie change.
Dans ce registre, la pandémie a eu son mot à dire. Éditrice et rédactrice en voyage pour le magazine Travel + Leisure, Karen l. Chen explique :
« La détente n’est habituellement pas ce que je recherche en vacances. À destination, je planifie tout, beaucoup, chaque jour. Musées, excursions, restaurants, tout.
« Mais la dernière année nous a laissés en état de burnout. Et tout-à-coup, le seul souci de choisir quelle cabana envisager sur une plage et à quelle heure le massage… semble parfait. Et tout-à-coup, une destination comme les Maldives, avec plages et eaux cristallines, sont devenues exactement ce que j’inscris dans ma Bucket List. »
Particularités
Recherche et beaucoup de lectures sur le sujet des voyages de la Bucklet List amènent à résumer que celle-ci se nourrit souvent d’envies stimulées par les particularités suivantes :
-il est très exotique (attention ici : un lieu ou voyage exotique pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Le critère « exotique » ne peut pas à lui seul déterminer qu’on est bien du domaine de la Bucket List)
-il se déroule dans des lieux d’une sublime beauté
-il nécessite un effort certain pour le réaliser (en termes d’accès – rarement le voyage de la Bucket List se rêve et se déroule dans la ville d’à côté – ou encore de préparation – le voyage de la Bucket List mérite normalement son lot de réflexion et d’organisation)
-il est désiré pour vivre une expérience davantage active et immersive que passive
-il est hautement stimulant
-on l’entrevoit pour changer quelque chose en soi
-on lui confère un rôle beaucoup plus important dans notre vie que le simple désir d’évasion.