Voyage durable : sa place dans les enjeux climatiques et communautaires et ce voyageur par qui il prend de l’ampleur…

Jean-Michel Perron, consultant en tourisme, président de la firme PAR Conseils & Stratégies et auteur du blogue La tourte voyageuse

Dossier spécial. Le voyage ou séjour durable et responsable, c’est le tourisme de l’heure. Plusieurs le constatent. Open Jaw Québec a mis ce grand sujet sur la table d’examen en compagnie du fondateur de l’association Tourisme Durable Québec, Jean-Michel Perron.

Open Jaw Québec : Comment parvenir à déclencher un virage vert encore plus fort dans notre industrie?

Jean-Michel Perron : Il faut adopter le mode de pensée du changement. Autrement ce n’est pas possible. Et il faut se pencher sur ce fait : les gens se disent verts et écolos. Mais quand vient le temps d’acheter et d’avoir des comportements verts, ce n’est pas ça la réalité. Oui pour une minorité, mais pas la majorité.

OJQ : Où les voyages ont véritablement une responsabilité dans les enjeux climatiques et communautaires?

JMP : Le tourisme, c’est le plus gros employeur sur la planète. Le tourisme a un impact direct sur le développement des communautés. Et pour cette raison, c’est l’industrie la plus importante dans le monde.

C’est aussi l’industrie la plus symbolique. Une industrie très marketing, très symbolisée. Pour ces raisons, c’est une industrie qui peut aider sérieusement à reconstruire notre planète, par l’influence que les différents services touristiques, les entreprises, les employés en tourisme peuvent avoir sur les voyageurs.

Cette influence, nos travailleurs de l’industrie peuvent en avoir une, non seulement durant le séjour à destination de leurs clients, mais avant et après également. Parce que notre industrie peut devenir une vitrine sur des comportements plus responsables. Notre industrie du voyage peut influencer positivement les voyageurs à ce niveau-là. C’est le premier point important.

Le 2ème point important est celui-ci : l’idée de se ressourcer, de se reconnecter, qui s’inscrit beaucoup en ce moment en temps de pandémie, c’est je pense, sans parler de religion, une tendance en notre faveur car elle touche à la spiritualité dans le sens large du terme. Et qui peut être bénéfique.

Je sais que le tourisme de masse va revenir, les gros paquebots seront à nouveau pleins. Mais malgré ça, il y a une tendance de fond : les personnes veulent donner du sens à leur voyage. Près de chez eux comme ailleurs. Et cet état d’esprit est un état durable.

Ce voyageur par qui la durabilité et la responsabilité prennent de l’ampleur…

Open Jaw Québec : Le virage vert, équitable, durable et responsable, par qui il arrive? Qui le stimule le plus?

Jean-Michel Perron : D’abord, ce virage se manifeste à cause d’une pression. Et cette pression ne vient pas des voyageurs individuels. La pression vient des entreprises rattachées au tourisme d’affaires.

Actuellement, des chaînes d’hôtels et des fournisseurs de services qui œuvrent dans le domaine du corporatif, comme les organisateurs de congrès, vont vers la durabilité parce qu’ils ont des pressions des clients corporatifs qui exigent d’aller dans cette direction.

Et les organisateurs de congrès eux, ils puisent leurs informations dans les sondages, et ces sondages indiquent que la clientèle régulière et individuelle veut aller dans cette direction-là, et cela même si, dans les faits, cette clientèle individuelle ne va pas nécessairement privilégier le mode vert dans ses choix.

Cela dit, parce que les compagnies qui achètent des séjours de réunion d’affaires et de congrès à destination, forcent des fournisseurs de services à aller dans cette direction-là – sur la base des sondages qui disent qu’individuellement, les gens veulent aller vers ça – et bien le changement se produit.

Bref, le vrai virage vert, il vient des entreprises, pas spécialement des individus.

Les hôtels tout-inclus : vraiment responsables?

OJQ : Selon vous, à quoi un hôtel tout-inclus responsable et durable peut-il ressembler?

JMP : Un centre de villégiature qui veut véritablement être durable gérera son fonctionnement de telle sorte à ce qu’il y ait un pourcentage élevé des retombées économiques dans la communauté où il se trouve.

Tout établissement peut mesurer ses retombées, et cet outil de mesure, c’est le premier critère. Malheureusement toutefois, actuellement, il n’y a pas d’outil accessible qui peut confirmer à un professionnel de notre industrie que tel établissement ou tel autre est vraiment durable de par ses retombées économiques dans la communauté.

Ensuite, c’est la gestion de l’eau, des déchets, des énergies fossiles, la réduction de la consommation d’énergie et la gestion de la climatisation qui sont des indices de durabilité.

Les autres points à considérer sont quelle est la proportion d’employés qui sont des locaux? Y a-t-il une égalité homme-femme? Bref, tout ce qui est rattaché aux 17 objectifs 2030 des Nations Unies.

L’avion qui plantait des arbres…

OJQ : Dans le domaine du transport aérien, comment évaluez-vous les initiatives en cours?

JMP : Quand on veut évaluer le secteur aérien, on doit se demander si le transporteur va compenser ou non pour son impact. Et encore là, il y a des limites à cette démarche!

Je fais ce parallèle avec les voyageurs : quand on voyage en avion, on nous dit qu’il faut compenser. Mais ça a ses limites. Dans son dernier livre « How to avoid a climate Disaster », Bill Gates souligne que si tout le monde plante un arbre pour compenser chaque fois qu’on a un impact négatif, et bien la surface de la terre n’est pas assez grande!

OJQ : Vous avez confiance aux jeunes générations dans cette volonté vers un tourisme durable?

JMP : Oui, car les jeunes font moins de compromis que nous, les plus vieux. Et les jeunes vont bientôt représenter un poids politique, dans la prochaine génération.

OJQ : Quelle est la différence entre tourisme durable et tourisme responsable?

JMP : Les définitions qui circulent, c’est parfois du grand n’importe quoi. Pour moi, ce n’est pas la même chose. Un tourisme responsable va beaucoup moins loin qu’un tourisme durable. Un tourisme responsable, oui, tu es attentif à tes impacts, mais un tourisme durable, ça regroupe l’ensemble des dimensions et on peut même déborder dans l’environnement, la culture, l’éthique, la gouvernance.

La durabilité, c’est vraiment une approche holistique. C’est plus global. Le tourisme durable est beaucoup plus inclusif, plus profond. Il est plus engageant.

OJQ : Quelle lacune observez-vous dans tout ce qui se fait en ce sens dans le monde?

JMP : La durabilité, elle ne sert à rien si elle est intégrée à un seul endroit. C’est comme pour la vaccination actuellement : on ne règlera pas le problème de la pandémie si on vaccine tous les Canadiens mais pas le restant de la planète.

OJQ : Quel est votre plus grand rêve dans ce dossier?

JMP : Mon plus grand rêve, c’est qu’un pays riche très en avance au chapitre de la durabilité en parraine un autre, moins privilégié. Un pays en Afrique par exemple. Car la durabilité sera très efficace que lorsqu’elle sera répandue sur la planète.

OJQ : Dans un de vos billets dans votre blogue La Tourte Voyageuse, vous citez le cas de la ville d’Hallstatt, en Autriche. Vous y soulignez que la population a retrouvé sa qualité de vie durant le confinement de la pandémie, alors que tous les touristes avaient disparu. Ne trouvez-vous pas que d’entrevoir l’absence de touristes comme une bonne chose est quand même synonyme d’emplois perdus? De fermetures d’établissements? De chute de l’économie? De drames humains reliés à cet arrêt des activités touristiques?

JMP : Je vais l’expliquer ainsi : la transition vers un monde durable, un monde à l’abri d’un modèle économique insoutenable comme il était avant la pandémie, ne se fera pas sans des perdants et des gagnants.

Il est certain qu’on ne peut pas imaginer de fermer Venise ou Barcelone, mais il faut trouver un équilibre. Le confinement a montré comment ça peut se passer sans le sur-tourisme.

Le sur-tourisme, il se produit aussi dans un village. Pas seulement dans les grosses villes qui accueillent des paquebots, comme Venise. Le sur-tourisme, c’est le dépassement de la capacité d’accueil d’un endroit.

Le défi, c’est de rééquilibrer tout ça. C’est de trouver l’équilibre entre l’économie, l’environnement et le social. Et il faut réparer les erreurs du passé, celle où l’on oubliait les intérêts des résidents au profit du tourisme, celle où les emplois ne sont pas valorisants et valorisés. Car tout ça fait partie de la durabilité.

Jean-Michel Perron est également consultant en tourisme depuis des années, conférencier sur les grands enjeux du tourisme et fondateur et président de Par Conseils & Stratégies.

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Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.