Polynésie française : violence, Petit Amour, pêcheurs rebelles et bijoux de famille

Dossier spécial. Tout devait pourtant être simple : un avion, un bateau, la mer et les plages. Mais ce n’est pas ça qui s’est pointé…

Tours Chanteclerc m’avait dit « tu nous raconteras ton voyage en Polynésie Isabelle! » Par souci de transparence, oui, je vais vous raconter. Car vos clients doivent savoir la vérité…

À l’arrivée, en débarquant de l’avion à Papeete, c’est un jour à peine levant qui nous accueille. Après une heure de formalités d’entrée (test Covid, passeport et tout), nous sortons à l’extérieur de l’aéroport pour découvrir que ça y est maintenant, le jour du jour est arrivé.

Polynésie de couleurs et merveilles de la nature

Dans une violence sans pitié, la nature ambiante nous jette son caractère en plein visage : des verts, rouge, orangé, turquoise, émeraude et saphir, des bleus de mer et de ciel. Puis il y a les vahinés, vêtues de robes imprimées de fleurs et à la peau bronzée, et ce soleil, presque agressant. Quand on arrive avec 4 mois d’hiver et de blanc de neige dans ses bagages, tout ça se révèle très violent. « Je vais vous en faire voir de toutes les couleurs! » nous annonce clairement la Polynésie.

Après une brève tournée de Tahiti en bus, nous rejoignons Paul. Il est là, avec toute sa prestance et sa classe. Mes compagnons de voyage l’appellent Paul Gauguin. Moi je le baptise Paul-le-gentleman. Avec sa blancheur immaculée, il nous attendait, dans le port de Papeete, tout flottant.

Monsieur Gauguin

Nous embarquons et découvrons sa personnalité. Je confirme : Paul n’est pas un navire; c’est un prince charmant. Il est réservé, aime le bois, le verre et les tons de couleurs juste-ce-qu’il-faut. Il a prévu des perles noires à fondre d’envie à sa boutique et des liqueurs et champagnes au bar et dont les appellations échappent aux mortels sobres.

Paul nous offre que des cabines avec porte patio, salle de bain avec baignoire, balcon ou terrasse. Mon prince charmant est juste assez corpulent pour trimbaler un bel équipement (kayaks, paddleboards, bombonnes de plongée, navettes, piscine, etc.) et de taille juste assez modeste pour se faufiler dans les lagons et les cratères inondés des îles polynésiennes.

Au jour 1, Florent, le directeur de croisière, nous accueille… et nous met en garde : « vous remarquerez que les toilettes du navire fonctionnent à succion. Alors attention messieurs! Ne vous y attardez pas trop une fois le mécanisme enclenché…. » C’est 1 à 0 pour les femmes! Pour une fois que les problèmes techniques sont l’apanage des mâles…

La Polynésie française dans toute sa féminité, son art du corps et splendeur… Petit Amour, ici lors d’un défilé de perles noires, présenté à bord du M/S Paul Gauguin

Le soir venu, j’assiste à une présentation sur les excursions. La vahiné qui chapeaute l’exposé se présente : « je m’appelle Hereiti. Iti veut dire « petite » et Here veut dire « amour ». On m’a baptisé ainsi parce que je suis un petit amour…. »

Petit Amour détaille ce qui nous attend au chapitre excursions. Je consulte le programme en entier. Mmm. Y’a beaucoup de plongée en apnée!, me dis-je… Un peu trop même, j’ai l’impression…

À la fin de la journée, je me glisse dans ma cabine. Y’a une télé et je la consulte. Menu des services à bord. Cool : on peut commander le petit déjeuner à la cabine. La commande se fait via la télé. Je choisis deux œufs sur le plat, saumon fumé, café. Pour demain matin 7h.

Le lendemain jour 2, nous jetons l’ancre à Huahine. Les passagers ont le choix : découvrir la baie en kayak ou paddleboard, ou découvrir l’île. J’ai faim alors j’opte pour les deux. Après kayak, cap sur l’île où je m’embarque dans le truck, un engin conçu pour trimbaler des humains et dont le mécanicien des suspensions est parti à la retraite depuis belle lurette. Mais ça roule!

En route, à bord du truck, c’est la flagellation! Bras pendouillant au grand vent par les fenêtres ouvertes, c’est à coup de… hibiscus qu’on se fait fouetter! Dans la torture tropicale, c’est la classe made in Huahine

Au village de Fare de cette île, j’arpente la rue principale et repère un vélo à louer 15 $US pour journée complète. Derrière le vélo se trouve une boutique. Depuis l’intérieur, une vahiné m’invite : « viens madame! ». J’entre. Trois générations de femmes sont réunies. On fait connaissance et ça y est, nous voilà parties : on décide de refaire le monde ensemble…

Je prends des nouvelles de la pandémie : « on a été confinés! On pouvait plus sortir! On n’avait même plus le droit d’aller pêcher! Les policiers n’ont pas besoin de pêcher alors ils comprennent pas que c’est comme ça qu’on se nourrit! » me raconte celle qui occupe le 2ème rang dans l’ordre des générations.

Club Bed de Fare : Club Med version Huahine?

Alors comment vous avez fait?

Et bien c’est simple : on allait pêcher en cachette, à 1 heure du matin…

De retour dans les bras de Paul, je raconte l’anecdote à Pascal, un Marquisien à la chevelure d’un sage et au teint bronzé qui voyage avec nous. Pascal Erhel est conférencier invité. Il est une encyclopédie vivante rayon traditions et histoire polynésiennes, spécialité Marquises.

Pascal me raconte à son tour : « un moment donné ils nous ont permis d’aller pêcher. Alors on est tous allés à la mer avec un fusil (un harpon), et tous on revenait bredouille. Tous les jours. Les policiers ont questionné : encore bredouille aujourd’hui, Pascal? Ils avaient deviné. Souvent, on n’allait pas à la mer pour pêcher, mais pour prendre l’air. Le fusil, c’était ça qui nous permettait de sortir de nos maisons… »

Tiens tiens! Ça me rappelle ces histoires de prêt du chien du voisin pour aller se promener, après le couvre-feu, au Québec…

Lisez-vous bien?

Le soir venu, je mets le cap sur le restaurant La Veranda. Misère au menu : foie gras poêlé, pétoncles, crème brûlée à la vanille tahitienne. C’est décidé : demain je change de resto. Trop émotif tout ça…

Le lendemain, nous nous réveillons à Bora Bora. Nous y serons 2 jours. Je déguste mon café frais en cabine et regarde le paysage depuis mon balcon : « ouf! Elles ne seront pas faciles ces journées-là! », je me dis.

Bora Bora. C’est pas un nom. C’est une émotion. Une explosion.

Une émulsion d’explosions d’émotions.

Je décide plongée en apnée ici. J’embarque dans la pirogue en compagnie des autres participants. Notre guide-capitaine est Polynésien pure laine. Il nous souhaite la bienvenue et dévoile sa multidisciplinarité : il joue du ukulélé tout en conduisant avec son pied, appelle les Dieux dans un coquillage géant et parle aux créatures marines…

Peau bronzée… paréo rouge sang… appel des Dieux dans un coquillage… et Bora Bora en arrière-plan…

Il nous amène dans un lagon d’eaux peu profondes et nous invite à le suivre dans l’eau. Avant de plonger, il retire le paréo rouge sang qui enveloppe son corps. À mesure que le tissu glisse vers le bas, nous découvrons ses épaules, ses tatouages noirs, ses hanches bronzées, son string solidement roulé et ses… Je trébuche soudainement et évite de justesse de passer par-dessus bord. « Bin voyons Isabelle! » m’interpelle ma conscience.

Puis, armés de masque, palmes et tuba, nous nous jetons tous à l’eau.

Oh.

My.

God.

J’hallucine.

Trois requins à pointes noires à bâbord, 4 raies pastenagues à tribord, poissons baliste picasso en paquets de 3, poissons paillons en banc de 200…

Je fige.

C’est d’la folie ce truc-là??

Je cherche Monsieur String. Il a peut-être foutu l’camp?, mort de peur??, genre oups on n’a pas d’affaires là???

Mais non. Il est là, et il est mort de rire!

En Polynésie, la bague au doigt, c’est aussi l’affaire des palmiers.

Je me calme.

Notre guide a un paquet de petits poissons morts dans la main. Des appâts. Vite les raies escaladent son torse et ses bras pour attraper un morceau.

Il est toujours mort de rire…

J’ai un flash : je quémande deux morceaux de poisson.

Je replonge, m’éloigne du groupe et brandis un premier morceau en direction d’une raie. Celle-ci me repère et vient me rejoindre.

Elle arrive droit sur moi. Par réflexe d’éviter le contact, je tombe à la renverse, sous l’eau. Elle s’allonge littéralement sur ma poitrine…

Moment. Et moman…!!

Il y a bel et bien une raie, là, tout juste au-dessus de moi…

J’hallucine.

Raie pastenague. Source: Futura-Sciences

Sa taille? Équivalente à celle du bouclier d’Achille, en moins rigide.

Je la regarde et découvre qu’à l’opposé de son dos gris où se trouvent ses yeux, son ventre est blanc. Je la caresse. Et l’observe. Elle a une toute petite bouche côté ventre.

Elle me pousse, très intéressée par le morceau de poisson dans ma main. Je perds pied alors je m’agrippe doucement à sa silhouette, de l’autre main. Elle me voyage sous l’eau… Sur une distance de 1 mètre.

Elle est puissante. 2 mètres. Toujours accrochée à elle, je contemple ses couleurs. 3 mètres. Je caresse sa texture gélatineuse. Je lui dis qu’elle est belle, douce… 4 mètres.

Pendant ce temps, les requins tournent tout autour. Ils apparaissaient à ma gauche, surgissent à ma droite. Parfois en-dessous de moi. C’est du délire!

J’ai toujours le petit morceau de poisson dans une main. La raie pastenague continue de nager et de me voyager avec elle. 5 mètres.

Je continue de lui parler, lui dis qu’elle est gracieuse…

Puis elle me répond :

« J’AI FAIM! Tu vas finir par me le donner, oui ou non, ton bout de poisson?? »

Je lâche alors le morceau de poisson et elle l’engloutit.

Puis elle me quitte. Je la regarde s’éloigner, et je réalise ce qui vient de se passer.

J’ai envie de pleurer…

Je suis aux anges dans un paradis, et je déclare que je viens de me faire une nouvelle amie pour la vie…

Je reste sous l’eau et cette fois-ci, je brandis mon deuxième morceau de poisson, sans bouger, et attends de voir ce qui va arriver.

Un poisson papillon arrive. Puis 3. 8. 12. 22…

Poisson papillon. Source: AquaPortail

Je ne vois plus le morceau de poisson, ni ma main, ni mon bras. Au moins deux douzaines, là, nageoires agitées, sous mon nez masqué. Jaune vif, blanc immaculé, rayures noires. Des beautés…

Je suis incapable de voir ma main mais je sens les petites secousses chaque fois qu’un poisson papillon arrache une bouchée de mon appât. Je ne bouge pas. Délire délicieux. Je me régale des yeux…

Puis pouf, tout à coup, ils se dispersent rapidement. Je redécouvre mon bras, ma main…. et plus que le squelette du morceau de poisson, entre mes doigts!

Le soir venu, j’évite le resto La Veranda de la veille, comme prévu. J’opte pour L’Étoile. Coup fumant du chef : le menu est à tomber. Soupe glacée à l’ananas et au gingembre, mahi mahi et ses herbes fraîches… Stop! Mes recherches salade verte & citron sont foutues. Je vais devoir me nourrir comme une princesse, encore une fois.

Tous les matins à bord, je prends mon petit déjeuner en cabine. Une bulle qui fait du bien. Ce matin ne fait pas exception. Mon livreur matinal non plus : il est toujours souriant, et discret.

Bleu de mer pour l’église de Fakarava…

Les jours suivants nous amènent à Rangiroa, Fakarava et Taha’a. Coup de cœur pour la deuxième! Une église au plafond bleu de mer, jus de coco à vendre sur le bord de la route et crabes… mauves! J’hallucine. Sur la plage, entre les rochers, ici les crabes ont bel et bien des pinces de couleur mauve! Ça me revient : « je vais vous en faire voir de toutes les couleurs! » nous avait prévenus Mère Polynésienne.

Crabe aux pinces couleur mauve!

Quant à Taha’a, le motu du même nom nous a préparés son BBQ Beach Bash Splashy Wash sous les palmiers.

Ici aussi : plongée en apnée svp!

Je repars pour un round, sous l’eau. Ma plongée a des allures de banquet : je scrute les concombres de mer et repère les patates (c’est comme ça que les Polynésiens appellent l’espèce corallienne de type Porites) et les poissons qui viennent avec.

À Taha’a aussi, un couple qui voyage avec nous renouvelle ses vœux amoureux sur la plage. Les tourtereaux n’ont pas choisi Beyrouth, Wabush ou Qikiqtarjuaq pour cet événement. Plutôt ce motu fait de coquillages blancs, soleil chaud, lagon rempli de poissons, cocotiers alourdis de noix de coco, le rêve ascendant amants galants.

On se demande bien pourquoi…

Mes petits déjeuners en cabine. Merci Merci.

Le lendemain matin, à nouveau, je présage mon petit déjeuner en cabine. Et mon livreur matinal arrive pile à l’heure avec mon plateau fraîcheur. Il est encore de bonne humeur!

Après une journée pleine en mer nous faisons escale à Moorea. Pour deux jours.

Urgence plongée ici aussi. Et moi qui trouvais, il y a une semaine, qu’il y en avait trop au programme des excursions….

Notre guide Jason nous fait longer la côte, dans sa pirogue. Nous passons devant ce qui était l’hôtel InterContinental de Moorea. Il a fermé en 2020, car « trop de grèves » nous dit Jason. Cette année-là, les bungalows sur pilotis ont été mis en vente 300 000$ chaque exemplaire. « Ma femme voulait qu’on en achète un. Je lui ai répondu baaaah, ché pas. Et on n’a pas acheté. Aujourd’hui, ils se vendent de 900 000 à 1,3 million $US pièce. Ma femme m’en parle tous les jours… » nous raconte Jason, tout penaud.

Moorea de profil…

Aujourd’hui, cet ancien hôtel abrite une clinique de sauvetage pour les tortues vertes (il y en a 3, dont une à qui une patte/nageoire est absente) et les dauphins (il y en a 2).

« Regardez attentivement. Cherchez des t-shirts blancs qui flottent et se déplacent à la surface de l’eau… » nous annonce Jason.

Il se moque de nous? À bord, c’est silence radio et coups de coude interrogateurs chez les passagers.

Jason poursuit : « Deux des trois tortues vertes ont la carapace percée à cause de coups de fusils (harpons). De l’air s’est infiltré sous leur carapace. Elles flottent et ne peuvent plus aller au fond de l’eau. En attendant de savoir comment on peut les soigner, on leur enfile un t-shirt blanc, durant le jour, pour éviter que leur carapace brûle sous le soleil. Et à certains moments dans la journée aussi, on leur accroche des plombs pour qu’elles puissent descendre sous l’eau. »

Nous poursuivons notre route vers le site de plongée et en chemin, nous longeons ce qu’était jadis le Club Med de Moorea.

Jason poursuit : « Comme vous voyez, aujourd’hui, le site est à l’abandon. Des ruines. Le terrain vaut 300 millions de $US. Il y a 6 proprios. Ils refusent de vendre. Ils veulent le garder comme héritage à leurs enfants.

Quand il faut, il faut!

Ils ont aussi refusé une offre de location à 40 000 $ par mois pour chacun d’eux, par un promoteur qui voulait louer l’emplacement et y construire un nouvel hôtel. »

Après nous avoir raconté toutes ces histoires rocambolesques, Jason nous amène dans un lagon pour y faire de la plongée. Au menu : raies pastenagues, requins à pointes noires, demoiselles à raies blanches (oui oui, c’est un poisson!) et poissons format King Size : des carangues bleues! Une observation de tortues vertes en liberté sera également au programme sur le chemin de retour vers le quai de Moorea.

Dernière soirée de la croisière. Cap sur Papeete, sur l’île de Tahiti. On approche. Elle s’entend. Trafic routier. Klaxons. Des sons qu’on n’a pas entendus depuis 12 jours… On doit remonter à la surface du réel.

Notre approche nocturne à Papeete, sur l’île de Tahiti. Lumières de ville et de piste aéroportuaire…

Avant de dire adieu à Paul, je savoure une dernière fois mon petit déjeuner en cabine. J’aurais pu faire comme à peu près tout le monde et aller au restaurant du navire. Mais ma bulle me fait du bien. Ce matin encore, mon livreur matinal est là, de bonne humeur. Infaillible. J’ai envie de craquer à sa place! « Vous n’avez jamais eu envie de me lancer par-dessus bord? Vous êtes certain? »

Je prends ma dernière gorgée de café, empoigne ma valise lourde d’impérissables souvenirs et quitte le navire.

Chère Polynésie, nous te quittons de l’œil, mais pas du cœur…

Photos : Isabelle Chagnon

Notre journaliste est l’invitée de Tours Chanteclerc.

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Isabelle Chagnon
Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.