Tourisme carcéral : une niche en pleine mutation

Un geste innocent?, celui de pousser les portes d’une prison pour y faire une visite touristique guidée? Pas du tout. Le tourisme carcéral est une niche qui grossit, se spécialise, se transforme et se présente de plus en plus comme étant même le motif principal d’un voyage dans une destination donnée.

« De nombreux anciens sites pénitentiaires s’appuient sur des éléments effrayants et salaces pour divertir les visiteurs. Mais certains y réfléchissent à deux fois » soutient une étude de The Marshall Project sur le sujet et intitulée Repenser le tourisme carcéral.

Le touriste

Car d’une part, on comprend mieux les motivations profondes des visiteurs. Vos clients adeptes du tourisme carcéral le sont pour des motifs émotionnels et culturels.

« Par le biais de cette expérience, les gens établissent un lien avec le passé et éprouvent de l’empathie pour les personnes qui ont souffert dans le passé. Ce faisant, ils satisfont leurs besoins culturels » soutient le Journal sur la Recherche sociale internationale dans ce dossier sur le sujet et qui appose une nouvelle appellation au concept : le « thanatourisme ».

Des expériences touristiques dites sombres sont, pour certains voyageurs, consommées « afin de donner un sens phénoménologique à leur existence sociale, poursuit cette étude. Cela comprend aussi les visites de cimetières/mémoriaux de guerre, de champs de bataille, d’autres musées ou attractions liés à la guerre. »

Fascination pour la mort

On soutient aussi que les adeptes du tourisme carcéral sont des gens « fascinés par la mort. Les motivations des visiteurs varient, mais plusieurs visitent ces lieux pour réfléchir. Car certains sont des survivants ou des descendants de survivants ou victimes. Certains souhaitent faire le deuil de leurs ancêtres disparus dans ce qu’ils considèrent comme un site sacré, d’autres veulent en savoir plus sur ce qu’ils perçoivent comme un moment révélateur de l’histoire. »

Et ceci : « le tourisme carcéral est un canal permettant d’observer à distance et en toute sécurité les thèmes liés à la mort et à la souffrance. Les motivations émotionnelles et éducatives sont fortes, tout comme la recherche de son propre héritage, l’assouvissement de la curiosité et la recherche de la nostalgie. »

Le lieu touristique

D’autre part, les prisons veulent aller plus loin, aller au-delà du simple divertissement et, surtout, du simple voyeurisme. « Les prisons mettent de plus en plus l’accent sur l’éducation » remarque The Marshall Project.

On donne l’Eastern State Penitentiary, une ancienne prison transformée en musée à Philadelphie, en exemple : « chaque Halloween, le lieu attirait les visiteurs avec un événement appelé « Terror Behind the Walls ». La maison hantée, avec des médecins maléfiques, une évasion et des détenus zombies surgissant pour effrayer les visiteurs, était l’un des événements les plus courus et lucratifs du musée.

« Mais depuis l’année dernière, le musée a décidé de mettre l’accent sur l’éducation. Désormais, l’événement se compose davantage d’illusions d’optique, de bandes sonores et spectacles axés sur la mission du musée, qui consiste à mettre en lumière les problèmes d’incarcération. »

« Ce n’est pas drôle pour nous. »

Le tourisme carcéral n’est donc plus un phénomène innocent au sens irréfléchi du terme. « Les conservateurs du musée Eastern State ont débattu du caractère approprié de la maison hantée au fil des ans. La direction du musée avait déclaré que l’utilisation de scènes de prison dans la maison hantée l’avait mise mal à l’aise.

Sean Kelley, vice-président et directeur de l’interprétation de l’Eastern State, avait déclaré ceci : « je suis étonné de voir à quel point beaucoup d’entre nous peuvent être insensibles à ces sites. Le sujet de l’incarcération est moins une source d’amusement qu’il ne l’était il y a 10 ans en Amérique, mais une partie de la population pense encore que c’est drôle. Mais ce n’est pas drôle pour nous. »

L’étude fait état d’un choc des idées : « le tourisme carcéral s’appuie souvent sur l’effroi, le macabre et le salace pour attirer les visiteurs et leur faire passer un après-midi ludique à se glisser dans les cellules et à prendre des selfies en combinaison rayée.

« Mais le secteur remet en question ce divertissement au détriment de la dignité des personnes incarcérées. Le commerce de ce tourisme est remis en question par des questions d’exploitation et de voyeurisme. »

Dépasser les limites acceptables de l’absurde

Le tourisme carcéral a également amorcé une sérieuse mutation en raison du comportement jugé inquiétant observé chez plusieurs visiteurs.

« Certains musées pénitentiaires sont moins une histoire savante qu’un spectacle grotesque, poursuit The Marshall Project. Au pénitencier de Virginie-Occidentale, les visiteurs peuvent s’asseoir sur une ancienne chaise électrique et jouer à « Escape the Pen », un jeu de type « escape-room » où les joueurs disposent d’un « sursis » d’une heure accordé par le gouverneur pour échapper à la mort.

« Sur la page TripAdvisor du pénitencier, on peut voir des photos d’enfants souriants assis sur la chaise électrique! »

Le pénitencier-musée en question n’a pas accepté facilement sa mise en exemple dans le propos: Tom Stiles, le directeur de la visite, a déclaré que « la visite du pénitencier de Virginie occidentale n’essaie pas de manquer de respect à un détenu ou à la vie d’un détenu. Elle n’essaie pas de manquer de respect à l’institution elle-même. Nous racontons des faits historiques. »

« Les États-Unis abordent trop souvent le tourisme carcéral de cette façon : ils transforment la souffrance humaine en un spectacle », a déclaré Jill McCorkel, professeur de criminologie à l’université de Villanova, pour qui les sites de tourisme carcéral de référence sont Robben Island en Afrique du Sud, où Nelson Mandela a été incarcéré, et Kilmainham Gaol, une ancienne prison de Dublin, en Irlande, pour leur description réfléchie de l’histoire des sites.

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Isabelle Chagnon
Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.