
Mains parfois tremblantes. Pause de la voix pour mieux recadrer un propos. Regard posé sur l’audience et non un texte stratégiquement cousu à l’avance et de toute pièce.
Hier matin au Sommet 2022 de l’ACTA, la cheffe des affaires commerciales d’Air Canada et présidente de VAC, Lucie Guillemette, a offert, non pas un discours de 36 minutes, mais plutôt un témoignage de type chocolat chaud un matin frisquet entre amis confidents, qui a révélé de touchantes sensibilités d’une grande dame de notre industrie.
Résumé d’une allocution-confidence dont on sait que des traces resteront en mémoire.
Lucie Guillemette :
« Je remercie sincèrement la communauté des agents de voyage. La résilience et la ténacité que vous avez démontrées, pendant la pandémie, sont remarquables.
Pour nous, les compagnies aériennes, le plus gros défi qu’on a eu, ça été les changements d’horaire, au tout début de la pandémie. C’est une chose qu’on a dû faire pour s’ajuster. Nous sommes conscients du travail que cela a demandé aux agents de voyage. Et pour ça, je vous remercie sincèrement. On sait que les choses ont été tellement difficiles.
Passer une crise comme celle-là, avec des partenaires comme l’ACTA, dont on sait avoir le même but, cela nous a beaucoup aidé.
J’ai 35 ans de service avec Air Canada, et je peux vous dire que le fait de voir notre réseau s’effondrer, le fait qu’on a dû dire à 20 000 employés qu’on n’avait pas d’emploi pour eux pour une période indéterminée, le fait qu’on a dû retirer certains avions, tout ça, en si peu de temps, ça nous a brisé le cœur.
Mais on n’a jamais, jamais jamais perdu espoir. Jamais je me suis levée un matin en me disant on s’en sortira pas et ce, même si j’étais parfois frustrée.
On a toujours regardé en avant, un an, deux trois ans plus loin, et la chose qui nous a le plus surprise, c’est la durée de tout ça.
Je me souviens très bien d’avoir eu une réunion, un tout début, avec Calin Rovinescu, quand il était notre président, alors que je lui présentais ce qu’on pensait qui allait être l’impact financier de cette crise. À ce moment-là, on ne parlait pas encore de pandémie. On savait seulement qu’il y avait un virus. Et sur une base de 19 milliards, je me souviens que j’avais de la difficulté à dire à Calin qu’on avait 2 milliards à risque. Et en réalité, on s’est retrouvés dans une situation où on n’a même pas eu 1 milliard de revenus pendant l’année.
On avait les nerfs à fleur de peau, mais malgré tout ça, on n’a jamais perdu espoir. »
Ce que voit Air Canada dans le futur
« Il serait facile de vous dire que notre but, c’est de retourner à ce que c’était en 2019 : même taille de réseau, mêmes revenus, même clientèle, etc. Mais ça ne peut pas être ça. Parce que trop de choses ont changé dans notre industrie, trop de choses se sont transformées.
On regarde notre futur avec une notion de transformation. On ne perd pas notre ambition d’être un champion, mais à l’interne, on se dit qu’on doit aller plus haut.
Si Air Canada n’avait pas été rentable au moment d’entrer dans la pandémie, on n’aurait probablement pas pu passer à travers la crise. Et la pandémie nous a montrés à quel point c’est important de s’écouter et de s’entraider. »
Rehausser l’expérience de la clientèle
« On la prenait beaucoup au sérieux avant, mais maintenant, c’est la priorité numéro 1 pour notre équipe de gestion : l’expérience de la clientèle.
Ces dernières années, on a beaucoup investi dans la flotte, mais maintenant on veut investir du côté du service à la clientèle. »
Un été difficile
« Cet été, nous avons connu une épreuve difficile. Il y a eu la loi des gros chiffres. Du côté de la gestion des bagages, même si Air Canada a opéré avec 98 % de succès dans la manutention des bagages, il y a eu un 2 %, qui peut représenter 2 000 ou 2 500 bagages par jour, qui a été moins bien géré si je peux dire.
On n’est pas fiers de notre performance de cet été. On comprend les enjeux. Mais on peut vous dire que le pire est derrière nous. Maintenant, quand on regarde nos statistiques d’opérations, c’est équivalent à ce qu’on était en 2019. Et on veut faire mieux. »

Des décisions d’apparence étrange, voire choquantes…
« Le peu de vols que nous offrions durant la pandémie – le plus bas, ça été 2 500 par jour, comparativement à 170 000 par jour en 2019 – a été maintenu pour soutenir la distribution des masques et des biens essentiels, maintenir le cargo en opération et aussi maintenir nos pilotes en activité.
C’est ce qui nous a permis aussi de travailler sur de gros dossiers : Aéroplan, compléter notre système de réservation, intégrer davantage les technologies pour faciliter le travail des agents et compléter notre système de gestion des opérations aériennes dans les aéroports. Donc, on est aujourd’hui capables de progresser.
Aussi, durant la pandémie, on a solidifié certains partenariats, notamment avec United et Lufthansa, et quand on a fait une annonce à l’effet qu’on avait une entente de principe avec Emirates, on savait que ce serait quelque chose qui allait vraiment choquer l’industrie.
Peu de personnes s’y attendaient. Mais ça illustre tout simplement le point que, en temps de crise, il faut trouver des façons de garder notre business en vie, envisager des opportunités qui, peut-être, sont impensables en temps normal.
Aussi, je peux vous dire avec certitude que, avant la pandémie, nous n’aurions jamais commencé un service vers Doha. Parce que trop d’autres routes sont d’intérêt pour Air Canada. Mais durant la pandémie, ces marchés-là étaient ceux qui étaient ouverts. Ils ont donc été des opportunités sur lesquelles Air Canada a pu compter. »
Vacances Air Canada négligé
« Maintenant que j’ai la responsabilité de Vacances Air Canada, je peux vous dire que c’est un petit bijou, mais parce qu’on a eu des gros investissements à faire au fil des années dans Air Canada, on a peut-être un peu négligé la technologie de VAC.
Mais depuis deux ans, on a mis un plan d’action en place pour améliorer premièrement l’expérience dans les centres d’appels – c’est inacceptable pour tout le monde de devoir attendre des heures pour rejoindre un agent pour obtenir de l’aide, pour automatiser ce qu’on vend et donner des outils pour que clients et agents puissent se servir eux-mêmes. »
Difficultés avec le ciel de la Russie
« On fait face à une difficulté qui est celle de ne pas pouvoir survoler la Russie. Pour notre marché de l’Inde, qui est un marché clé pour Air Canada, ça veut dire deux heures supplémentaires de vol, changement d’avion et d’équipage, coûts excédentaires. Ça nous cause beaucoup de problèmes.
Mais le fait d’avoir un réseau très diversifié, quand il y a une crise mondiale, on peut se réajuster, justement parce qu’on est présents dans plusieurs géographies. C’est quelque chose qui nous aide. Car on peut se fier sur autre chose pour assurer notre rentabilité. »
Transparence
« On veut s’assurer par exemple que le client qui réserve avec Air Canada, mais qui veut voyager avec United ou Lufthansa (partenaires d’Air Canada), puisse le faire de façon transparente.
On doit s’assurer de gérer les dossiers des autres transporteurs, par exemple faire des changements de siège d’un transporteur à l’autre. Ce sont de grosses ambitions parce que c’est difficile au niveau des systèmes. Mais le but est d’améliorer l’expérience client. Alors nous allons le faire. »
L’immigration, perçue comme une opportunité pour Air Canada
« On regarde plusieurs nouveaux créneaux où on croit qu’Air Canada peut avoir beaucoup de succès et des opportunités où les agences pourraient avoir beaucoup de succès aussi. Et ici, on pense aux notions d’immigration.
D’ici 2026, on prévoit 40 % de plus d’immigrants au Canada. Cela veut dire que le marché des voyages pour aller voir la famille et les amis (dans le pays d’origine), c’est un gros marché potentiel. On y pense beaucoup. »
Conversion des avions Rouge pour du cargo
« Nous avons transformé beaucoup d’avions d’Air Canada Rouge, qui avaient entre 20 et 25 ans de vie, en avions cargo. Nous avons développé une division cargo parce qu’il y avait de la demande durant la pandémie, mais aussi parce qu’on croit dorénavant que le cargo est une autre possibilité pour diversifier nos sources de revenus, dans l’éventualité où l’avenir nous réserve une autre dure épreuve à passer. »
Contrôle de la distribution
« On veut reprendre le contrôle de notre distribution. C’est une question de protection de la marque.
Nous croyons que, si on n’a pas de succès dans quelque chose, c’est à nous de le changer. Et ici, on veut que nos produits représentent les intentions claires d’Air Canada et Vacances Air Canada. »
Aéroplan
« Les gens avaient raison d’être déçus lorsque venait le temps de prendre leurs points pour les échanger contre des voyages, parce que les espaces étaient limités. Maintenant, 100 % des sièges sont disponibles. »
Photos : Isabelle Chagnon