Dossier. Depuis le premier jour où l’on nous a remis notre premier passeport, on nous somme de ceci : « à l’étranger, le passeport est LE document le plus important de votre vie! Ne vous en séparez jamais!! Vous n’êtes personne sans passeport!!! »
« Sans passeport, vous n’avez plus d’identité!!!! »
Aaaaaaahhhhhhhh!
Mais voilà : à l’embarquement initial pour participer à la croisière Joyaux de la Méditerranée à bord du Champlain de la compagnie Ponant, fin octobre, Open Jaw Québec et tous les autres passagers ont dû remettre leur passeport au commissaire de bord, sur demande du personnel attitré au contrôle à l’embarquement.
Et Open Jaw Québec a remarqué un inconfort palpable et exprimé chez certains passagers.
Nous avons alors commencé à investiguer, et si plusieurs membres d’équipage, voyageurs et forums nous rapportent l’application d’une procédure similaire chez certaines compagnies de croisière (pas toutes), personne ne l’explique vraiment.
Alors Open Jaw Québec a posé la question.
D’abord à Oleg, le commissaire financier du navire Le Champlain de Ponant, à bord duquel nous nous trouvions.
3 raisons
Voici les 3 raisons données par ce commissaire pour justifier la demande des passeports des passagers :
1-pour éviter qu’un passager perde son passeport durant le voyage.
À noter ici que certains forums argumentent qu’il n’est pas du ressort de la compagnie de croisière de « jouer aux parents et veiller à notre place à la manipulation sécuritaire du passeport pour éviter de le perdre. » Cela porte à réflexion.
Aussi, prenons un moment pour nous rappeler cette histoire horrible, rapportée par Radio Canada en 2018, d’une passagère expulsée du Royal Princess après avoir constaté s’être fait voler son passeport durant une escale au Monténégro.
Cette histoire a mis deux choses en relief :
-oui, si le passeport de la dame avait été rangé dans le coffre du commissaire de bord, il n’aurait pas été volé
mais aussi
-oui, se retrouver dépourvu de son passeport prouve bien qu’on a un gros problème de confirmation de notre identité – sinon le navire n’aurait pas expulsé la passagère.
Revenons à Oleg.
2-pour une raison de sécurité : « si un incident se produit, si on doit évacuer d’urgence le navire, j’ai la responsabilité de prendre en charge sur le champ la boîte étanche à l’eau dans laquelle nous gardons les passeports de tout le monde. Ainsi, tous les passeports peuvent être sauvés » nous a expliqués Oleg.
3-pour un motif d’obligation de consultation : « un officier des douanes qui monte à bord pour vérifier l’identité des passagers peut exiger de consulter les passeports. Et si c’est le cas, je peux lui fournir tous les passeports car je les ai en ma possession. En gardant les passeports réunis à un seul endroit, cela facilite et accélère la procédure » a ajouté Oleg.
Ceci étant dit, soulignons que le personnel du Champlain a tenu à rassurer les passagers inconfortables avec la procédure en leur soulignant que sur chaque carte remise au passager (celle qui permet d’ouvrir la porte de la cabine, de contrôler l’embarquement des passagers à bord) figure le numéro de son passeport. À ce sujet, nous n’avons pu obtenir une confirmation des autorités douanières locales à savoir si l’inscription du numéro de passeport sur la carte de croisière exempt son détenteur de toute complication de contrôle, en l’absence de possession du vrai passeport, là où cela peut arriver.
Que dit la haute direction
Nous avons sondé la haute direction de la compagnie Ponant pour savoir s’il existe une explication additionnelle. Voici leur réponse :
« Il s’agit d’une procédure Ponant. La raison principale est la suivante : cette procédure nous permet de réaliser les démarches administratives à chaque escale, notamment pour la revue des documents d’identité par les autorités locales. Cela évite aux personnes à bord (passagers et membres d’équipage) d’être appelées à présenter leurs documents tout au long de leur voyage » a souligné Justine Fraticelli, responsable de la presse internationale et des relations publiques chez Ponant.
Pourquoi chez les uns, et pas chez les autres
Si ces raisons précédemment exprimées peuvent paraître tomber sous le sens, à première vue, pourquoi alors la procédure n’est pas appliquée par tous les navires de toutes les compagnies de croisière?
Poursuivant notre quête d’explication, Open Jaw Québec s’est adressé à un produit comparable à Ponant (une compagnie qui offre des croisières en Europe et dont l’itinéraire parcourt plusieurs pays différents) et dont nous savons, pour avoir voyagé avec eux le long du Danube ces derniers mois, qu’aucune procédure de rétention des passeports n’est appliquée : Rivages du Monde.
Voici la réponse du président de Rivages du Monde, Alain Souleille :
« La procédure dépend exclusivement de ce que réclament les autorités locales en terme de contrôles.
D’une manière générale, les compagnies maritimes et fluviales ont obligation de fournir aux autorités locales (police, douanes, inspection sanitaires) ce qu’on appelle un « manifeste » qui est une liste sur laquelle figurent tous les renseignements d’identité des passagers (nom, prénom, adresse, date de naissance et numéro de passeport avec la validité). Figure également sur cette liste le numéro de la cabine. Ce manifeste est en principe communiqué un ou deux jours à l’avance à chaque autorité pour vérification.
Dans la plupart des cas, notamment sur le Danube, cette procédure suffit aux autorités. Elles peuvent cependant décider à tout moment de procéder à un contrôle plus ample en visualisant les passeports et quelques fois, elles procèdent aussi à un « face control » des passagers.
« Pour les pays qui sont assez stricts du point de vue des procédures, le « face control » avec le passeport est obligatoire soit à bord, soit dans la gare maritime ou fluviale (États-Unis, Israël, Maroc, Russie, etc.)
« Sur le Danube, vous naviguez principalement dans la zone Schengen ou dans l’espace européen sauf en Serbie, où en principe à Belgrade vous êtes contrôlé avec votre passeport dans les locaux de la gare fluviale. »
Et si un passager refuse?
Comme nos observations et nos recherches nous indiquent que la procédure ne fait pas plaisir à plusieurs voyageurs, nous avons demandé à Monsieur Souleille ce qui peut se produire, selon lui, si un passager refuse de remettre son passeport pour toute la durée de la croisière :
« Tout commandant à bord a rang d’officier de police. Ses ordres sont obligatoires qu’il s’agisse de consignes vers l’équipage ou vers les passagers. En d’autre terme, si le commandant donne instruction de collecter les passeports, aucun passager ne peut s’y soustraire sous peine d’être éventuellement débarqué sans recourt » nous a-t-il expliqués.
En des mots simples, qu’on soit d’accord ou non avec la procédure, on n’a pas le choix.
Pourquoi chez Ponant, mais pas chez Paul Gauguin?
Open Jaw Québec a récemment eu le privilège, grâce à Tours Chanteclerc, d’expérimenter une autre croisière, cette fois-ci en Polynésie française, à bord du Paul Gauguin, un navire qui appartient aussi à la compagnie Ponant.
Et nous nous souvenons de l’absence de cette procédure pourtant appliquée en Méditerranée.
Comme la direction de Ponant nous explique que la rétention du passeport est une procédure de la compagnie, pourquoi alors n’est-elle pas appliquée à bord du Paul Gauguin? Voici leur réponse :
« Le Paul Gauguin est également concerné par cette procédure, comme toute la flotte Ponant, nous explique Justine Fraticelli. Peut-être qu’au moment où vous étiez à bord elle n’était pas encore appliquée. »
Nous apprenons donc à l’instant qu’à bord du Paul Gauguin, depuis peu, cette procédure « est aussi appliquée pour des raisons de sécurité. Cela permet de centraliser tous les documents en cas d’abandon du navire » a ajouté madame Fraticelli.
Notre journaliste était l’invitée de la compagnie Ponant.