Dossier. Durant ses lectures voyageuses, Open Jaw Québec est tombé sous le charme de Jonathan B. Roy, un Québécois qui a parcouru notre planète pendant 4 ans, en solo, à dos de vélo, et qui a écrit deux livres sur ses périples : « Histoires à dormir dehors – À la rencontre du bon monde » et « D’autres histoires à dormir dehors », aux Éditions Vélo Québec.
Ce passage de son 2ème livre avait particulièrement attiré notre attention :
« Vers minuit, nous sommes réveillés par de formidables miaulements très aigus qui percent les ténèbres. Chacun des cris se rapproche de nous. « C’est un puma, tu crois? » me lance Freddy, depuis sa tente. Aucun stress ne point de sa voix; je m’étonne aussi de mon calme. Toutes ces nuits passées dehors, toutes ces rencontres et ces péripéties quotidiennes m’ont rendu impassible face au danger. À mon départ d’Europe, quelques années plus tôt, j’avais pourtant peur de presque tout. »
Puis nous avons placé ce passage dans tout le contexte vécu par l’auteur : Jonathan a dormi sous sa tente où il pouvait (bord de route, derrière des bâtiments abandonnés…), mangé ce qu’on lui a proposé (poisson cru sans nom, cochon d’inde, reptiles…), côtoyé le vrai monde (pas celui déguisé en guide touristique)…
Une rencontre pour comprendre
Assoiffé de compréhension, Open Jaw Québec a demandé à ce grand voyageur, devenu également auteur et conférencier, d’accepter de nous rencontrer pour nous parler du sujet de la peur du/en voyage, dans le but de venir en aide, peut-être, à certains qui s’empêchent de réaliser de grands rêves de voyage, par crainte de tout et – nous le découvrirons plus tard – parfois de rien.
Entrevue.
Open Jaw Québec : Plusieurs s’empêchent de voyager ou de faire le voyage de leur rêve parce qu’ils ont peur. Sous quel angle regardez-vous cette réalité?
Jonathan B. Roy : On a peur de ce qu’on ne connait pas. Cela fait écho au début de mon aventure, quand j’avais plus peur. Pas parce que c’était plus dangereux, mais plutôt parce que je ne savais pas encore, par exemple, c’était quoi les bruits à côté de ma tente, dans la nuit. Les bruits, c’était peut-être une marmotte ou un écureuil, mais dans le noir, tu imagines toujours le pire.
Quand j’ai su que c’était seulement des animaux qui venaient autour de ma tente, et bien ça a enlevé de l’inconnu.
Même chose pour les pays et les humains. Et en voici un exemple : durant mon tour du monde, quand je suis arrivé en Azerbaïdjan, les gens m’ont écrit ceci sur mes réseaux sociaux : « là, quand t’étais en France, je comprenais ce que tu faisais. Mais là, entre toi et moi, arrête de niaiser, ça doit être dangereux en Azerbaïdjan! »
Quand on me disait ça, je leur posais cette question : « nomme-moi deux choses sur l’Azerbaïdjan? ». Et y’avait rien. Ceux qui m’écrivaient que c’était dangereux ne savaient pas leur langue, leur culture, ce qu’ils mangent, leur capitale, où est-ce sur la carte, leur religion, etc.
Alors pourquoi on pense que c’est dangereux?
Il y a donc l’inconnu d’une destination, mais aussi l’inconnu d’une façon de voyager. À titre d’exemple, certaines personnes ont peur d’entreprendre un voyage à vélo parce qu’ils n’ont jamais fait de voyage à vélo.
OJQ : Dans ce cas de figure, que leur répondez-vous alors?
Jonathan B. Roy : Que c’est certainement à leur portée, mais qu’ils doivent le découvrir par eux-mêmes. Si tu es capable de pédaler une journée et de camper un soir, t’es capable de faire le tour du monde en vélo. Car c’est la même chose, multiplié par plusieurs centaines de jours.
Peur de l’étranger
OJQ : Qu’avez-vous à dire sur la peur de l’étranger?
Jonathan B. Roy : Dans l’ensemble, les gens sont très attachés au concept du « bon monde ». Ce concept, les gens veulent y croire. Croire qu’il n’y a pas de risque d’avoir peur.
Pour ma part, j’osais imaginer que le « bon monde », il y en avait à travers le monde. Donc, mon idée de départ, avec ce projet de faire le tour du monde en vélo, ce n’était pas pour accumuler les kilomètres, mais bien pour aller à la rencontre du « bon monde ». Et ça s’est confirmé.
Je n’ai même pas eu une seule mauvaise expérience par année, après m’être promené chaque jour et après avoir rencontré quelques dizaines de milliers de personnes chaque année.
OJQ : Les endroits magnifiques à explorer se trouvent parfois dans des secteurs où il y a de la pauvreté. Que dites-vous à ceux qui associent pauvreté à danger?
Jonathan B. Roy : Parfois, avec la pauvreté viennent les problèmes de drogue et de santé mentale. Le risque ici, ce sont les imprévus qui peuvent survenir.
Autrement, des gens qui n’avaient pas d’électricité et pas d’eau courante m’ont invité à manger à leur table. Et dans ces secteurs aussi, jamais personne n’a voulu voler mes biens.
Pour tout dire, je connais une seule histoire de vol d’un cycliste. C’est un Coréen qui a traversé l’Asie et l’Europe, et qui, durant un voyage au Québec, a stationné son vélo à côté d’une épicerie à Laval, et à sa sortie, il n’y avait plus rien. Est-ce que ça fait de Laval la ville la plus dangereuse au monde?…
OJQ : Croire que le monde est bon, est-ce là un trait d’une personne qui ne s’abreuve pas de choses négatives, par exemple, dans la vie de tous les jours?
Jonathan B. Roy : C’est plutôt qu’à la base, je suis quelqu’un qui a une confiance inébranlable en moi. Et le courage, c’est un muscle. Si tu ne le travailles jamais, il va rester faible, et petit.
Organisation du voyage
OJQ : Avez-vous des trucs à partager quant à l’organisation du voyage?
Jonathan B. Roy : Y aller par étape. Si quelqu’un rêve d’un grand voyage en Europe, commencer par un pays où l’on parle la même langue, exemple la France.
Si quelqu’un rêve d’un tour du monde, commencer par l’Europe, où il y a des épiceries qui ressemble aux nôtres par exemple, pour s’acclimater, puis aller en Asie.
OJQ : Donc, une amorce. Commencer à voyager dans un pays où l’on a des repères…
Jonathan B. Roy : Oui, exactement. Et on augmente la difficulté des pays. Par difficulté, j’entends la différence par rapport à ce qu’on connait. Exemple, la Bosnie, c’était plus difficile que la France, la Turquie était plus difficile que la Bosnie, l’Azerbaïdjan plus difficile que…
L’idée, c’est d’apprendre : comment ça fonctionne voyager seul, comment ça fonctionne voyager à vélo, comment on communique avec les autres, etc.
Le but c’est d’enlever un morceau d’inconnu, un morceau de peur à la fois. À chaque fois que tu comprends mieux quelque chose, tu enlèves un morceau de peur.
OJQ : Vous avez parlé de confiance et de courage. Y a-t-il un autre trait de personnalité qui mérite d’être travaillé pour mieux voyager?
Jonathan B. Roy : Être rationnel. Quand tu es rationnel, tu ne te mets pas à capoter. Être rationnel, c’est remarquer les signes chez les gens, les indices autour de soi.
OJQ : C’est donc aussi être bon observateur?
Jonathan B. Roy : Oui, sans aucun doute. Mais aussi, il faut se fier à son instinct.
OJQ : Ouf! Comment ça marche, cette bibitte-là?
Jonathan B. Roy : L’instinct n’arrive pas de nulle part. Il est basé sur des expériences personnelles. L’instinct est en nous, et il est différent pour chaque personne. Et mon instinct n’est pas le même aujourd’hui qu’il l’était quand je suis partie la première fois en voyage.
Y’a des étapes. Si t’as jamais voyagé de ta vie, ne commences pas par traverser le Tibet à pied! Commence par quelque chose qui est plus accessible. Pour nourrir ton instinct.
L’intérêt de faire cet exercice, c’est aussi pour découvrir ses propres réactions.
Aux gens qui viennent me voir et qui me disent Jonathan je rêve de faire tel voyage mais je suis terrorisé, je dis d’essayer à petite échelle, pour réaliser que c’est beaucoup plus facile que l’on pense.
Les femmes et les voyages
Open Jaw Québec : Vous êtes un homme, bien évidemment!, mais que diriez-vous aux femmes qui s’empêchent de voyager, et particulièrement si elles sont seules, parce qu’elles sont des femmes et se jugent plus vulnérables en voyage?
Jonathan B. Roy : Je suis toujours tenté de leur répondre qu’on a peur de ce qu’on imagine connaître, de ce qu’on imagine qui va arriver.
Durant mon tour du monde et pour les besoins des conférences qui meublent aujourd’hui ma vie professionnelle, j’ai fait des entrevues avec tous les types de voyageurs, dont les femmes. Et elles m’ont dit que pour les femmes, les pays les plus faciles, ce sont les pays musulmans.
Un pays musulman, s’il est sexiste envers sa population locale à certains égards, et très conservateur sur les rôles des hommes et des femmes, peut se révéler une destination surprenante pour les femmes.
Car celles qui voyagent amènent une image de liberté dans ces pays. Comme, pour les femmes musulmanes, c’est très difficile de voyager seule, celles-ci prennent grandement soin des femmes qui voyagent en toute liberté.
OJQ : Une conclusion à tout ça?
Jonathan B. Roy : Je vais laisser le mot de la fin à Paulo Coelho, qui dit : « si tu crois que l’aventure est dangereuse, essaie la routine; elle est mortelle! »