À notre arrivée sur place hier à midi, on nous a annoncé que notre demande d’entrevue était refusée.
Après une pause de 5 minutes – le temps de digérer la nouvelle – nous sommes entrés dans la salle de l’hôtel Honeyrose de Montréal où était prévu le rassemblement.

L’événement avait pour thème « I LOVE NY » en grosses lettres, s’inscrivait dans le cadre d’une Mission Canada et avait pour objectif de réunir des représentants de différentes régions de l’État de New York et des représentants de tours opérateurs québécois et canadiens et médias de l’industrie du voyage.
Une fois dans la salle, nous avons commencé notre tournée, butinant d’un représentant à l’autre.
Les poignées de main étaient chaleureuses.
Mais les visages affichaient des cernes.
Malgré la volonté de chaque personne présente de faire de ce rassemblement un moment de retrouvailles positives, l’ambiance a trahi la lourdeur de la situation actuelle : les cernes aussi bien canadiennes qu’étasuniennes sont visiblement trop lourdes pour libérer le franc sourire qui marque tant, normalement, notre industrie du voyage.
C’est un constat : quelque chose est brisée dans notre industrie canado-américaine du voyage. Les regards sont désorientés, et la flamme des maîtres de l’image et du marketing est éteinte : le faire-semblant-que-tout-va-bien n’est tout simplement pas crédible en ce moment.
Un dinosaure dans la pièce
En dépit des poignées de main chaleureuses, il y avait un éléphant irritant dans la pièce (l’ère Trump 2.0 et les impacts). Non, l’éléphant n’est pas assez gros: c’était en fait un dinosaure. Le modèle Patagotitan Mayorum gestante en phase terminale de grossesse. Le truc gros. Très gros.
Mais il n’était pas question de le regarder en face, ni de prononcer son nom.
Quelqu’un.
Open Jaw Québec a demandé à quelqu’un si nous pouvions avoir au moins un petit commentaire sur comment ça se passent les affaires de l’autre côté de la frontière.
Ce quelqu’un nous a répondu : « on ne parle pas de politique ».
C’est la phrase à la mode en ce moment : dans notre industrie du voyage, quand on aborde nos pairs pour échanger les nouvelles qui déchirent nos tripes en ce moment, très nombreux sont ceux qui répondent « je ne fais pas de politique, mais du tourisme ».
Nous avons expliqué à un autre quelqu’un que nous ne voulions pas parler politique mais bien de relations d’affaires, et que nous espérions, en acceptant leur invitation à venir les rencontrer, pouvoir échanger sur des sujets qui intéressent notre industrie comme « comment on fait, c’est quoi le plan de match, comment ça se passe de votre côté… »
Niet.
Une parenthèse s’impose ici : contraire à nos habitudes à titre de média, si nous ne faisons que parler de « quelqu’un », c’est que nous avons également été avisés de ceci : interdiction formelle de citer qui que ce soit sur quelque sujet que ce soit.
Dans notre jargon médiatique, citer quelqu’un veut dire apposer un nom et prénom à une déclaration. Les membres de la délégation avaient donc eu tout un meeting de directives avant notre arrivée. Et ces directives étaient claires et fermes.
Les confidences des tours opérateurs
Les tours opérateurs québécois et ontariens présents nous ont confié que leur présence à cette rencontre répondait à cet objectif : bien que la promotion des États-Unis est clairement sur la tablette, et bien que les annulations des voyages aux États-Unis remplissent bel et bien leurs bons de décommande depuis des semaines, on tente d’éviter de jeter des années de démarchage, négociations et partenariats d’affaires à la poubelle.
Le message de la délégation
Durant l’événement, les représentants de l’État de New York ont pris la parole à tour de rôle pour tenter la mission quasi impossible en ce moment : attirer l’attention sur les beaux musées et les beaux lacs du State façon business as usual, avec belles vidéos et photos.
Puis quelqu’un a lâché le morceau au micro : « people of Québec and Canada, we love you! » À cela, les choses étant ce qu’elles sont toutefois actuellement, dans le versant nord de la frontière, on n’échappe pas à cette question silencieuse : l’allégeance politique étant tabou sur les cartes d’affaires, on se demande inévitablement que veut dire le we love you de notre interlocuteur étatsunien…
Mais ne faisons pas de politique ici….
Avant de quitter les lieux, nous sommes retournés voir quelqu’un pour lui présenter notre point de vue : occulter de parler de la Patagotitan Mayorum gestante dans la pièce, et bien la conséquence est parfois pire.
Nous avons convaincu notre interlocuteur de notre franche volonté de bien faire les choses. La citation est très courte, et elle est arrivée hier en soirée par courriel :
« Le Canada est le premier marché international entrant de l’État de New York, c’est pourquoi I LOVE NY continue de promouvoir fortement les visites et de lancer une invitation chaleureuse à ses voisins du nord » – Ross D. Levi, directeur exécutif de la Division Tourisme de l’État de New York / I LOVE NY.
