Entrevue avec une grande dame du tourisme : la France

Dossier spécial. Aux côtés de la Suisse et l’Allemagne, la France figure parmi les tout premiers pays européens à rouvrir ses frontières aux vacanciers internationaux vaccinés. Open Jaw Québec s’est entretenu avec la directrice d’Atout France pour le Canada à Montréal, Mélanie Paul-Hus, pour savoir comment la France s’est préparée pour cette reprise, et si le secteur touristique est aussi prêt que le sont les secteurs politique et économique.

Open Jaw Québec : Le Canada est passé au code vert pour la France. Que représentent ces codes pour les autorités? Que dictent-ils?

Mélanie Paul-Hus : D’abord, de manière générale, la France est ouverte aux touristes internationaux. Ces codes rouge, orange et vert dictent les contrôles plus ou moins strictes à effectuer en fonction du risque que représente le pays de provenance du visiteur.

En ce moment, le Canada est vert. On espère le rester. Car ce serait tout à fait légitime, s’il y avait un risque plus élevé au Canada, dans les prochains mois, qu’on repasse en orange.

Il est important de comprendre que ce système n’existe pas pour favoriser des pays plutôt que d’autres, mais bien pour s’assurer qu’on puisse moduler les protocoles d’accueil en fonction des risques. Tout cela est en place pour que les visiteurs en France se sentent protégés, car les voyageurs côtoient d’autres voyageurs venus d’ailleurs.

Une campagne en cours…

OJQ : Depuis le début de la pandémie, on sait que le tourisme va reprendre. On ne savait pas quand, mais on le savait. Alors comment la France, l’une des destinations dans le monde qui a la plus grande expérience dans le domaine du tourisme, s’est-elle préparée pour la reprise? Comme la France gère-t-elle, en ce moment, le redémarrage?

MPH : Le tourisme est une industrie tellement importante en France – plus de 7 % du PIB – que beaucoup de cerveaux ont été mis à contribution pour réfléchir à toutes les problématiques qu’ont amenées la pandémie. La France a planché, elle a produit des documents cadres, elle a fait des plans et les a revus plusieurs fois.

La France évolue dans un écosystème européen. Elle ne peut pas décider toute seule. Les pays européens se consultent beaucoup.

L’avantage de la France, c’est qu’elle est très bien organisée. Elle dispose de nombreuses structures vouées au tourisme et celles-ci se sont consultées. Il y a eu énormément de suggestions et de discussions avec les ministres parce que c’est une industrie qui est portée par l’État français.

Très vite, des annonces de soutien à l’industrie du tourisme ont été faites, des programmes ont été proposés aux acteurs principaux mais aussi aux régions.

OJQ : Est-ce que tout le secteur était à l’arrêt? Redémarre-t-il de zéro?

MPH : Les premières clientèles de la France sont les Européens et les Français. Ils ont sauvé l’été 2020. On ne pouvait pas sauver l’industrie du tourisme sans pouvoir compter sur la clientèle locale.

Pour l’été 2021, c’est une campagne européenne qui est mise de l’avant (titre : Je redécouvre la France; thème : Ce qui compte vraiment – NDLR). Ce qui est fabuleux dans cet exercice, c’est que les 13 régions françaises ont participé. Tout ça est une promesse pour la suite, quand le tourisme international reprendra vraiment. Aussi, après les marchés européens, c’est nous, le Canada, qui arrive derrière.

Pareil ou pas pareil?

OJQ : La France campe-t-elle dans la catégorie qui croit que le tourisme sera exactement comme avant? Ou dans la catégorie qui croit que le tourisme est en train de changer à tout jamais?

MPH : La France croit que le tourisme a changé et va changer. Plus précisément, elle croit que le tourisme va évoluer. Cette industrie doit suivre les tendances, le mouvement. La pandémie a changé la manière d’accueillir le visiteur, les hôtes sont plus bienveillants qu’avant.

Par exemple, avant la pandémie, la préoccupation première du restaurateur était « est-ce que mon client va apprécier ma nourriture ». Aujourd’hui, cette préoccupation première est « est-ce que mon client se sentira en sécurité dans mon restaurant ». C’est un grand changement! C’est la preuve que les choses évoluent.

La France croit aussi que c’est le bon moment pour apporter des changements. Quand il y a une impulsion, un redémarrage comme c’est la situation actuellement, c’est le moment de modifier certaines choses.

C’est ce qui se produit en ce moment avec le questionnement dans l’industrie aérienne, alors que la France se questionne à savoir si, en attendant que l’aviation soit encore plus propre, ne faut-il pas réduire le nombre de vols entre Paris et les villes situées à moins d’une heure de vol. La pandémie, en imposant une pause, a offert un temps pour réfléchir à ces choses.

OJQ : Quel touriste la France s’attend-elle à retrouver? En ce temps de post-pandémie ? Sait-elle ce que cherchera la clientèle?

Mélanie Paul-Hus, directrice d’Atout France Canada

MPH : Il est trop tôt en ce moment pour définir ce que cherchent les clientèles américaines. Pour l’instant, ce sont surtout les clientèles française et européenne qui sont observées.

La France observe les comportements des premières clientèles qui reviennent, et elle constate que les sites naturels sont plus prisés. Les Européens cherchent les grands espaces, optent pour la location de maison et d’appartement. Ces comportements étaient moins courants avant la pandémie.

Ces comportements étaient largement adoptés par des clientèles lointaines, dont les Canadiens. Mais la question est : est-ce que les Canadiens vont rechercher les grands espaces en France? Pour la suite? Ce n’est pas certain. Je pense qu’ils vont vouloir retrouver les villes qui ont du patrimoine et de l’histoire. C’est ça qui leur manque beaucoup depuis le début de la pandémie.

On s’attend à ce que les clientèles internationales n’aient pas les mêmes réflexes que les clientèles européennes. Mais c’est encore un mystère.

OJQ : Quels autres défis sont sur la table?

MPH : La France a pour objectif d’accueillir à nouveau les touristes internationaux avec tous les outils à sa disposition, et ce, afin de retrouver les flux les plus normaux possibles.

L’industrie doit aussi composer avec une main-d’œuvre réduite. Beaucoup d’employés se sont reconvertis. La France a l’expertise, mais, comme tous les autres pays, elle doit redorer le blason du tourisme et rappeler ses importances économique et sociale pour retrouver sa main-d’œuvre.

Réactions à l’ouverture des frontières

OJQ : Tout le monde attendait une annonce de la réouverture des frontières. Maintenant que c’est fait, les touristes sont-ils déjà au pas de la porte?

MPH : Actuellement, les tours opérateurs donnent des signaux pour 2022. Pour 2021, il y a différents scénarios car la réouverture est un peu tardive dans la saison. La France a rouvert le 9 juin, ce qui est tardif pour la prise de décision des vacances pour les Nord-américains. Les premiers qui voyagent, ce sont ceux qui ont de la famille ou des amis en France, et qui ont souffert de tous ces mois d’absence. C’est la première vague de voyageurs.

On verra ensuite l’arrivée de ceux qui ont envie de vacances et qui sont moins contraints par leur emploi du temps, ou dont la rentrée scolaire affecte moins. Cette clientèle est aussi celle double-vaccinée. Ces personnes voyageront en fin de saison.

OJQ : Est-ce que le téléphone sonne?

MPH : Oui, il y a une hausse des appels et de l’intérêt. Mais 2021 n’atteindra pas les niveaux de 2019.

OJQ : Qu’est-ce qui bloque? Outre la proportion des personnes entièrement vaccinées?

MPH : Ce qui bloque en ce moment, ce sont les exigences pour le retour au Canada. Beaucoup de gens nous posent des questions sur les conditions d’entrée au Canada. Bien que nous ne sommes pas en mesure de donner l’info, on se rend néanmoins compte que c’est ce qui bloque en ce moment. Au Canada, les choses ne sont pas tout à fait claires encore à ce chapitre.

OJQ : Alors qu’est-ce que la France espère à court terme avec ces réouvertures et reprise?

Mélanie Paul-Hus : La France est confiante que la reprise va donner de bons résultats. Car en rouvrant déjà ses frontières aux touristes, la France représente un gage de qualité et sécurité pour les voyageurs. Je suis confiante que cela ramènera de la clientèle.

Article précédentQuelle « France post-pandémie » vos clients retrouveront-ils?
Prochain articleL’ACTA tiendra une séance de discussion virtuelle ce mardi 13 juillet
Isabelle Chagnon
Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.