Une pénurie de main-d’œuvre menace-t-elle aussi notre industrie?

Dossier spécial. C’est le sujet de l’heure en ce moment partout au Québec. De la restauration à l’hôtellerie, du petit commerçant à la grande entreprise, on cherche des employés. Les agences de notre industrie sont-elles aussi menacées par une pénurie de main-d’œuvre? Et hausser les salaires des agents, est-ce un sujet de discussion?

Open Jaw Québec s’est entretenu avec trois agences pour sonder leur opinion sur ces questions.

« Certaines agences ont perdu plusieurs bons conseillers durant la pandémie. Elles se retrouvent aujourd’hui à personnel réduit, remarque Pier-Ann Mercier, présidente, Club Voyages Fascination de Ste-Marie & St-Lambert.

Pier-Ann Mercier, présidente, Club Voyages Fascination Ste-Marie & St-Lambert

« Ces agences sont donc dans l’obligation de prévoir le retour à la normale dès maintenant et, par conséquent, engager des conseillers en voyage dès maintenant même si la demande et les fonds ne sont pas au rendez-vous. »

Hausser les salaires, ça se discute?

Plusieurs acteurs de l’industrie à qui OJQ a discuté soulignent qu’en raison des procédures accrues pour voyager, les conseillers en voyage seront davantage sollicités par la clientèle et auront un plus grand rôle à jouer. Est-il alors envisagé de hausser leur salaire? Leur taux de commission?

« Nous croyons effectivement que les adeptes du Web se pencheront davantage vers les conseillers en voyage, dans les prochains mois ou prochaines années, poursuit Pier-Ann Mercier.

« Notre valeur évoluera et nous jouerons un rôle important dans l’industrie touristique. Des honoraires professionnels doivent donc être en vigueur pour chaque dossier et chaque conseil donné. Par conséquent, rehausser les salaires et les taux de commission des agents va de soi.

« Avec la pénurie de main-d’œuvre et les conseillers en voyage qui se font rares, les offres d’emploi de conseiller en voyage sont déjà avec des salaires accrus, plus élevés que ce qu’on voyait avant la pandémie. Nous allons devoir suivre la parade ou augmenter nos offres de services pour pouvoir se mesurer aux autres gros joueurs de l’industrie » conclut Madame Mercier.

Hausser les frais de dossier pour mieux rémunérer les agences/conseillers, ça se discute en ce moment?

« Certainement, poursuit Madame Mercier. En fait les agences qui coupent leurs prix ou n’en chargent tout simplement pas viennent nuire à la valeur du conseiller en voyage. Plus que jamais il est temps de faire valoir nos capacités et notre profession.

« Chaque agence devrait revoir sa grille d’honoraires professionnels et s’ajuster avec la tendance du marché, ou du moins avec son réseau d’agence. Il faut se serrer les coudes et se soutenir entre agences et entre professionnels. »

Garder les employés à tout prix

Certaines agences semblent mieux se porter que d’autres en ce moment. Elles ont fait des choix, qui ont coûté cher parfois.

« Tout mon monde est revenu à temps plein – au nombre de dix – et ce, depuis un bon bout de temps. J’ai même engagé deux employées performantes de plus durant la pandémie, explique Audrey Doiron, propriétaire et conseillère en voyage de Voyages Action de Beloeil.

Audrey Doiron, propriétaire et conseillère en voyage de Voyages Action de Beloeil

« Cela a été possible parce que, comme tous mes agents sont à salaire, pendant plusieurs mois, ils ont bénéficié du chômage et chacun travaillait une, deux ou trois journées par semaine à l’agence. C’est un choix que j’ai fait. Dès le début, je savais que je devais protéger mes employés. Car si mes employés partaient, il y avait un risque qu’ils ne reviennent pas. C’est un choix qui m’a coûté des sous, mais j’ai tous mes employés aujourd’hui.

« Depuis un an aussi, je réfléchis à ma structure de rémunération. Des bonus sur performance sont des idées auxquelles je pense. Le salaire fixe sera toujours une sécurité pour un employé, et offrir des bonus aux employés qui se démarquent est dans mes projets.

« L’objectif de tout ça, c’est d’être encore plus rentable. Parce qu’offrir un plus gros salaire, c’est s’attendre et obtenir une performance plus intéressante de la part de ses employés. Mais aussi, il est impensable, pour moi, que mes agents aient un salaire dérisoire. Pas avec tout le travail qu’ils font.

« De plus, nous avons instauré les frais de service depuis la pandémie. Ces frais vont assurer la pérennité. »

Une structure en place hier qui sauve l’agence aujourd’hui

Conseillère et propriétaire de l’agence Voyage Vasco Ste-Catherine, Valérie Desgagné a confié à OJQ pourquoi le rendement de son agence va plutôt bien en ce moment.

« La pénurie de main-d’œuvre ne me touche pas en ce moment. J’ai rappelé une de mes internes, qui avait déjà trouvé un emploi dans une bonne compagnie, et par chance, elle a décidé de revenir avec moi.

Valérie Desgagné, conseillère et propriétaire de l’agence Voyage Vasco Ste-Catherine

« Dans le domaine du voyage, ce n’est pas nous qui avons les meilleurs avantages sociaux et les meilleurs salaires, mais c’est un domaine qui fait rêver. C’est plus exigeant pour nous à l’interne en ce moment, mais les clients veulent et ont le goût de voyager. Il faut se détacher des questions que l’on doit poser en ce moment concernant la situation actuelle.

« 75 % de mes conseillers externes le sont à temps plein, et ils ont bénéficié de la PCU en tant que travailleurs autonomes. Pour les 25 % restants, vendre des voyages est un deuxième travail et plusieurs ont conservé leur premier emploi durant la pandémie.

« Je ne charge pas des honoraires professionnels parce que j’ai établi un lien de confiance avec mes clients. Quand une personne appelle et qu’elle n’est pas cliente de notre agence, on explique que nous ne sommes pas une centrale téléphonique. Il y a une façon professionnelle de le faire. 99% des gens comprennent très bien que nous sommes rémunérés s’ils achètent des voyages.

« Cela dit, je viens de changer un peu ma méthode de rémunération de mes employés à l’interne. Ils ont dorénavant un salaire fixe horaire et une commission sur les ventes. J’y crois beaucoup. Car ainsi, le conseiller est motivé à vendre et à proposer des produits. J’offre depuis un mois cette nouvelle rémunération à une de mes employées à temps plein, et déjà, je vois l’énorme différence.

« Actuellement, les employées sont heureuses de recevoir leur salaire et savent que la commission va arriver plus tard. Elles sont très à l’aise avec ce format.

Des ventes sur la voix d’un record

« Depuis six mois aussi, on fait beaucoup de ventes, poursuit Valérie Desgagné. On se dirige même peut-être vers un record des ventes. On va espérer que les clients n’annulent pas.

« Depuis février, on vend beaucoup de croisières pour 2022 et 2023. On vend aussi beaucoup de Sud – dont Mexique et République dominicaine – pour des départs à court terme. En mai et juin derniers, j’ai battu mon chiffre d’affaires de ma meilleure année, soit 2019! Ces ventes ont été possibles grâce aux conditions d’annulation extrêmement intéressantes, dont le 100 % remboursable. On avait fait beaucoup de publicité sur nos réseaux sociaux pour motiver les gens à acheter.

« En janvier et février, j’avais coaché mes employées pour qu’on vende du Canada, et on en a vendu beaucoup. On a suivi plusieurs formations sur le Canada et on a fait de bonnes ventes notamment de forfaits clés en main au Canada avec Vacances Air Canada. Les commissions sont rentrées en agence grâce aux ventes de ces forfaits.

« Ce qui aide beaucoup aussi en ce moment, c’est qu’il y a deux semaines, je suis partie en République dominicaine avec quatre personnes de mon équipe. Nous avons visité des hôtels et avons fait des posts sur Facebook et tout ça a attiré l’attention de notre clientèle. Les gens étaient heureux de voir que partir en voyage, c’était possible. Et les conditions sont excellentes, dans certaines destinations bien sûr.

« Mon agence, c’est ma famille et ma vie. Il n’était pas question que je laisse les choses aller. C’est pourquoi on a fait tout ça et on est sorties des sentiers battus. »

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Isabelle Chagnon
Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.