Pénurie de main-d’œuvre : que vivent et pensent voyagistes, associations et regroupement d’agences?

Dossier spécial. Une pénurie de main-d’œuvre se fait-elle aussi déjà sentir chez les fournisseurs de produits et services? Open Jaw Québec a également récolté les témoignages de certains d’entre eux ainsi que des associations qui évoluent dans notre industrie.

« Notre industrie connaissait déjà une pénurie avant la pandémie. Les agences ont laissé aller beaucoup d’employés depuis le début de la pandémie et une bonne part de ces employés ne reviendra pas. Et qu’on se le dise : l’insécurité, dans notre industrie, elle est constante. »

C’est sur ces mots que le président du Groupe Atrium, Sylvain Lastère, a mis la table à son témoignage.

« Plusieurs tours opérateurs avec qui nous travaillons régulièrement m’informent qu’ils rappellent en ce moment leurs employés, pour préparer la relance, mais les employés ne reviennent pas. Donc ça va être un énorme problème la pénurie de main-d’œuvre » poursuit Monsieur Lastère.

Sylvain Lastère, président du Groupe Atrium

« Plusieurs agences et tours opérateurs s’attendent à des demandes de salaire plus élevé de la part d’employés à recruter, et tout ça s’explique notamment par les hausses généralisées des prix d’à peu près tout ce qu’on consomme aujourd’hui. Tout coûte plus cher! Donc oui, les salaires vont monter, j’en suis convaincu! »

Regard pessimiste? Terre-à-terre, oui, pessimiste, pas nécessairement, en autant que bouger et solutions soient du vocabulaire :

« L’industrie va complètement se redéfinir au cours des prochains mois. Beaucoup de choses vont changer. Des alliances vont se créer. Et de plus en plus aussi nous verrons des propriétaires d’agence mettre sur pied un deuxième commerce, par sécurité. De plus en plus de nos collègues se disent oui, on veut rester en affaire dans le voyage, mais on veut une sécurité. »

La retenue de Tours Chanteclerc

« J’ai des postes ouverts en ce moment. Ils sont affichés, mais je n’ose pas encore les combler. »

Le directeur général de Tours Chanteclerc, Claude St-Pierre, confie sa problématique dont l’origine lui est hors de son contrôle.

« J’aurais besoin d’embaucher maintenant des employés, mais je n’ose pas parce que la reprise dépend entre autres d’un phénomène qui persiste en ce moment, et qui ressemble à une roue.

Claude St-Pierre, directeur général de Tours Chanteclerc

« Les clients veulent voyager à nouveau. Ça, c’est clair. Et je pilote beaucoup de dossiers en ce moment. Tout va super bien, jusqu’à temps que mon fournisseur, celui qui est à l’autre bout, à destination, jusqu’à temps qu’il me demande de l’argent pour sécuriser la réservation.

« Donc mon fournisseur me demande de l’argent, alors je me tourne vers l’agent et son client, et c’est là que toute la chaîne se bloque : le client résiste à donner un dépôt. Le client veut voyager, mais il ne veut pas risquer de perdre son argent. Alors il se retient encore pour réserver.»

La réflexion de Terres d’Aventure Canada

« La rétention du personnel, c’est tout un défi dans l’industrie du voyage. Tout au long de la pandémie, nous avons misé sur cette rétention et maintenu les emplois et ce, pour deux raisons : pour garder notre équipe d’employés en place et pour entretenir une relation avec nos clients. »

Bien qu’il reconnaisse que cette stratégie puisse soulever les débats lorsqu’on fait une radiographie des reins financiers de toute entreprise, le directeur général de Terres d’Aventure Canada et Karavaniers, Jad Haddad, poursuit son explication sur leur philosophie d’entreprise :

Jad Haddad, directeur général de Terres d’Aventure Canada & Karavaniers

« Durant la pandémie, nous avons gardé notre équipe en place pour continuer de développer des voyages. On ne savait pas si ces voyages allaient se concrétiser, mais on les a développés quand même. On a pris ce risque. Et ça s’est révélé payant. On a des retours de voyage extrêmement positifs en ce moment. Nous avons gardé notre équipe et aujourd’hui, nous sommes en recrutement d’employés additionnels. »

« Le marché de la main-d’œuvre qualifiée, c’est difficile dans notre industrie et depuis longtemps. Le plus gros problème aujourd’hui, c’est que beaucoup de travailleurs de notre industrie ont changé de domaine à cause de la pandémie.

« L’Alliance Touristique pense que la solution à la pénurie de main-d’œuvre, c’est d’aller chercher les gens retraités et les travailleurs étrangers. Je crois plutôt qu’une valorisation des métiers de notre industrie est la solution, maintenant, et ça commence dans les écoles du tourisme et du voyage. »

Les échos des associations

Open Jaw Québec a interpelé l’Association des Tours Opérateurs du Québec (ATOQ) pour savoir si elle avait des échos d’alerte de pénurie de main-d’œuvre chez ses membres.

« Oui, et nous avons d’ailleurs soulevé le point à notre dernier Conseil d’Administration la semaine dernière. Déjà nous avons apporté des stratégies pour venir supporter nos membres tours opérateurs, a confié Nathalie Guay, directrice générale de l’ATOQ.

« Nous devons redorer l’image de l’industrie du tourisme en démontrant les avantages et bénéfices. Pour ce faire, nous devons apporter des changements et peut-être même revoir les salaires et autres bénéfices qui permettraient d’attirer et de séduire des candidats potentiels et chevronnés.

Nathalie Guay, directrice générale de l’ATOQ

« La réalité de la main-d’œuvre semble alarmante du côté des TO mais aussi des agences au détail. Et cette réalité génère aussi des préoccupations pour les TO. Il ne faut surtout pas oublier que les agences détaillantes sont la force de vente des produits des TO sur le marché.

« Nous aurons de la difficulté à remplacer une expertise pointue que seules les années d’expérience nous offrent. Il y a clairement des inquiétudes à court et long termes. C’est la raison pour laquelle nous nous penchons sur le dossier et allons passer à l’action début 2022.

« Est-ce que nous discutons de hausser les salaires des employés? Pour attirer la main-d’œuvre? Il est difficile de parler de hausse salariale en ce moment, car nous sommes en baisse drastique de plus de 90 % de nos chiffres d’affaires. Par contre, cela ne veut pas dire que nous ne nous penchons pas sur la question. Il est définitif que nous devons revoir la grille salariale et les bénéfices qui y sont rattachés. »

Open Jaw Québec a également sondé l’ACTA.

Manon Martel, directrice générale de l’ACTA, chapitre Québec

« Oui, les agences souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre en ce moment. Mais comme l’industrie du voyage en général va très mal, comme elle peine à rester la tête hors de l’eau, et comme les agences enregistrent 20 % de leurs revenus en ce moment, mais aussi les tours opérateurs, hôteliers, croisiéristes et compagnies aériennes, c’est difficile pour chacun d’eux d’envisager des hausses de salaire actuellement » souligne Manon Martel, directrice du chapitre Québec de l’ACTA.

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Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.