Être agente en période de pénurie/pandémie : le témoignage de Manon Doucet

Manon Doucet, agente de voyage et propriétaire de l’agence Club Voyages Solerama de Saint-Eustache

Dossier spécial. « C’est un souci auquel je pense beaucoup actuellement. Je n’en suis pas encore là, mais je m’attends à avoir de la difficulté à trouver des employés. »

Figure bien connue dans notre industrie, l’agente de voyage et propriétaire de l’agence Club Voyages Solerama de Saint-Eustache, Manon Doucet, s’est confiée à Open Jaw Québec dans le cadre de ce dossier spécial sur la pénurie de main-d’œuvre et l’éventualité ou non de devoir hausser les salaires des agents de voyage pour remettre notre industrie sur les rails.

Manon nous livre ici son témoignage qui transpire, tantôt une confiance en l’avenir en autant que des choix judicieux soient mis en chantier maintenant, tantôt une inquiétude face aux conséquences malheureuses dont la pandémie est responsable.

« Peut-être suis-je chanceuse de compter encore sur des employées à l’interne qui sont des femmes de grandes compétences dans la cinquantaine, pour qui changer de métier ou quitter son emploi, n’est pas du tout tentant. »

Sous la vague de la pandémie, l’agence Solerama a perdu 3 employés sur 5, à l’interne seulement. « C’est beaucoup. L’un est retourné travailler dans les hôpitaux, une autre dans la lunetterie et une autre dans la rénovation. Deux de ces trois personnes sont toutefois restées agentes externes pour mon agence. »

Salaire et commission

« Mes agentes à l’interne sont des salariées. Je leur offre un salaire plus commission ou, selon la teneur de leurs tâches, un salaire fixe. Mes conseillers à commission, internes ou externes, obtiennent aussi une commission sur les honoraires professionnels.  Je partage tous les revenus » met la table Manon Doucet.

Les honoraires professionnels à la rescousse

« Déjà, avant la pandémie, on facturait des honoraires professionnels. Ces honoraires professionnels sont essentiels parce que les revenus d’une agence continuent de diminuer année après année. Pour un billet d’avion à 900 $, on récolte 8 dollars de commission. C’est un non-sens sans les honoraires.

« La pandémie nous a amenés à élargir ce sur quoi on applique des honoraires professionnels et ce, pour aller chercher des revenus additionnels et avoir une entreprise viable. Dorénavant nous facturons aussi des honoraires professionnels (ou frais opérationnels) sur les annulations. Comme tout ce qui se réserve peut s’annuler à 100 %, on doit le faire. Sinon on travaille pour zéro et je respecte trop nos compétences et le temps investi pour accepter cela. Les clients sont au courant et ils comprennent. Ces revenus sont devenus nécessaires actuellement parce que les annulations représentent une grande partie de notre travail. »

Des clients pour la plupart consciencieux

« Pour tous les clients qui n’avaient pas payé d’honoraires professionnels à l’achat d’un voyage qui a été annulé à cause de la pandémie – car à l’époque nous ne chargions pas à la réservation sauf pour les vols, nous avons facturé des frais de 30 $ par dossier pour l’annulation. Et tous ont accepté et nous ont dit merci. Ils reconnaissent que nous avons travaillé fort et comprennent qu’un travail gratuit ne paie pas de factures. »

Prendre soin du personnel toujours en place…

« Je suis très reconnaissante envers mes employées en poste qui traversent la pandémie avec moi. Elles sont épuisées parce qu’elles sont sollicitées au-delà de leur champ de compétences. Imaginez le topo : pour un client qui nous demande tout simplement un voyage à Boston, c’est un dossier pour lequel on doit revoir toutes les règles. C’est ok le vaccin AstraZeneca? Pas de vaccin? Par avion? En voiture? Le client doit-il faire son PCR ou antigène avant? C’est compris ou non dans son voyage? Et les enfants? Bref, c’est fou ce que ça nous demande aujourd’hui. Et sérieusement, ça donne des boules dans l’estomac. »

Les conséquences de l’absence d’uniformisation

« Pour chaque dossier, nous devons aller chercher toutes les infos, les procédures des uns et des autres. Pour cette raison, les honoraires professionnels sont là pour rester. Je ne peux pas, pour l’instant, augmenter mes honoraires professionnels parce qu’il y a encore des agences qui ne les appliquent pas. Cela provoque une concurrence entre les agences et, très ouvertement, je ne comprends pas pourquoi certains ne vont pas de l’avant. Mais par chance, ma clientèle, à 25 $ par personne, elle est à l’aise avec ça et mes conseillers sont pour la plupart maintenant convaincus aussi. Quand la reprise va vraiment être là, peut-être vais-je même augmenter un peu. Je verrai. »

Un nouveau quotidien en agence

« Chaque dossier apporte son lot de stress parce qu’on nous attribue la responsabilité de trouver toutes les nouvelles règles de voyage. À nouveau, notre champ de compétences, c’est de vendre des voyages, pas d’informer sur les vaccins et les passeports vaccinaux. Et tout change rapidement. Nous ne pouvons pas endosser une responsabilité face à ces règles. Mes employées et moi nous assurons de lire les informations sur les règles avec les clients, et nous leur rappelons qu’ils doivent tout relire avant le départ pour vérifier si rien n’a été modifié. Et nos factures sont « bétons » et elles doivent être signées.

« Pour un même dossier, les consultations se sont multipliées parce que les questions portent sur plusieurs sujets autres que les prestations de voyage. Plusieurs clients nous appellent et nous disent ne jamais avoir fait affaires avec un agent de voyage avant, mais que maintenant ils le souhaitent parce qu’ils sont inquiets et ils veulent être certains de ne pas se tromper. Bien qu’il s’agisse pour nous d’une nouvelle clientèle, tout ça pèse lourd sur le stress.

« Notre quotidien d’aujourd’hui, c’est complètement anti-vente : on doit s’assurer que le client comprenne bien toutes les restrictions de voyage et on doit lui faire comprendre que ce qu’il réserve aujourd’hui peut changer en tout temps. On doit mettre en garde le client que oui, aujourd’hui nous lui vendons ce vol, mais que la semaine prochaine, il se peut qu’on le rappelle pour lui dire que ce vol est annulé. C’est pas cool. »

Une pénurie de main-d’œuvre à l’horizon?

« En ce moment, les ventes sont relativement faibles. C’est bientôt que ça va être difficile, car il faudra trouver des employés additionnels. Et ce que j’entends dans l’industrie, c’est que ceux qui veulent réembaucher leurs employés qui sont allés travailler ailleurs et qui ont goûté au non-stress du voyage – et qui ont gagné peut-être aussi des salaires assez intéressants – feront face à des employés qui n’auront pas nécessairement envie de revenir. Quand le voyage va réellement reprendre, on va être fous de joie de travailler durement, mais ça va être l’enfer!

« Une autre problématique en ce moment, c’est qu’on peut difficilement engager des employés à commission parce que les revenus sont manquants. Pour pouvoir offrir un revenu décent à un agent, on doit offrir un salaire fixe, pour un certain temps en tout cas. Mais voici : avant la pandémie, certains agents qui avaient un bon chiffre de ventes avec de bons revenus en commission, pouvaient se générer un salaire  intéressant, voire au-delà de 40 000$ par année et ce, parce qu’elles étaient à salaire plus commission. En ce moment, même si je leur offre les mêmes conditions qu’avant, ce ne sera pas payant parce qu’il n’y a pas assez de ventes. Je suis moins friande à l’idée de payer un salaire fixe à des employés mais je ne crois pas avoir le choix, 1 : si je souhaite qu’ils reçoivent un salaire acceptable, 2 : si je veux trouver des employés. »

Déjà en préparation pour des lendemains meilleurs?

« Diversifier ce qu’on fait en agence est une démarche entreprise il y a quelques années et qui m’apparait encore plus importante aujourd’hui. J’ai diversifié toutes mes spécialités. Je fais beaucoup de groupes : groupe de vélo, groupe de golf, etc. Je fais des associations avec des agences comme par exemple Road2luxe, pour les voyages en moto.

« Les dossiers de groupe sont, pour mon agence, bien plus payants que la simple vente de produits Sud. Si bien que je cherche un agent, en ce moment, qui sera attitré à la gestion des groupes uniquement. Je suis prête à offrir un excellent salaire pour ce poste car j’en ai besoin.

« Un nouvel employé se joindra à mon équipe très bientôt. Les subventions de salaire et de loyer deviennent incertaines mais je dois aller de l’avant et préparer mon agence pour la reprise. Hausser les salaires est définitivement un aspect que je dois évaluer.

« À la vraie reprise, pour pouvoir répondre au gros volume de mon agence, j’aurai besoin d’au moins 3 agents seniors de plus. J’effectuerai mes recherches dans les journaux spécialisés (petites annonces) et auprès des écoles du voyage. Si un agent externe souhaite passer à l’interne, ce sera tout aussi bien. »

Travailler avec la jeunesse, pour la jeunesse

« J’aimerais aussi beaucoup travailler avec un jeune agent pour développer des groupes de jeunes. Un groupe en Équateur, la location de petits bateaux en Croatie… ce type de produits, c’est tripant pour les trentenaires. Et les jeunes achètent des jeunes, pas des vieux. C’est comme ça! »

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Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.