(Mis à jour à 8:35) Dans un jugement rendu vendredi dernier, la juge Guylène Beaugé de la Cour supérieure a condamné Voyage Vasco Inc. à payer à cinq anciens franchisés une somme globale de 1 021 399,80 dollars. Les cinq plaignants réclamaient collectivement un montant de 1 965 550,10 dollars pour divers manquements et ratés dans le processus d’implantation d’agences de voyages dans les anciennes grandes surfaces Zellers. Comme le montant des dédommagements est assorti des intérêts au taux légal depuis le dépôt des poursuites, c’est plus de 1,4 million que Vasco devra débourser dans cette affaire.
Les membres de l’industrie qui cumulent quelques années de service se souviendront qu’en juillet 2009, Voyage Vasco Inc., qui est le franchiseur des agences arborant les bannières Vasco et Gama, concluait avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, un accord de partenariat portant sur l’implantation d’agences à l’intérieur des grands magasins Zellers. Grâce à cette entente, les dirigeants de Vasco espéraient étendre leur présence dans l’ensemble du Canada, puisque la bannière Zellers flottait sur quelque 300 grandes surfaces du pays.
La centrale du réseau a donc proposé à ses franchisés et à d’éventuels investisseurs un concept clé en main d’agence installée dans un des magasins Zellers. Le coût de ces nouvelles franchises variait de 50 000 $ à 60 000 $, soit 30 000 $ de droits de franchise, le reste devant couvrir les frais d’aménagement du local et le fonds de roulement.
Entre juillet 2009 et 2011, 17 investisseurs se portaient acquéreurs d’une de ces franchises. Mais en janvier 2011, le géant américain Target faisait l’acquisition des baux de 220 des 300 grandes surfaces Zellers et, dans la foulée, la Compagnie de la Baie d’Hudson fermait ou revendait les autres, scellant ainsi le sort de sa marque Zellers. Pour sa part, Target (qui depuis s’est retiré du Canada) décidait de mettre fin à la présence d’agences de voyages dans ses magasins. En avril 2012, Voyage Vasco Inc. adressait aux franchisés concernés une lettre dans laquelle il leur recommandant de déménager au cours de l’été. Entretemps, le franchiseur continuait à négocier avec la Compagnie de la Baie d’Hudson pour sauver les meubles. Mais celle-ci faisait la sourde oreille et le 31 juillet 2012, elle avisait Vasco qu’elle mettait fin à la «licence d’exploitation» d’agences de voyages dans tous les magasins Zellers, dès le 31 août.
Les cinq franchisés demandant réparation ont su faire la preuve que l’entente de partenariat entre HBC (l’acronyme anglophone de «Hudson Bay Company») était mal ficelée. Elle ne portait que sur une «licence d’exploitation». Il n’y avait pas de bail couvrant une période définie, ce qui permettait donc à HBC et à son repreneur Target de mettre fin dare-dare à la présence des franchisés Vasco/Zellers dans ses magasins.
Sur ce point, le tribunal a conclu que Vasco avait été négligente «dans la conclusion de l’entente avec Zellers, en ne s’assurant pas de protéger l’espace locatif… pour la durée des conventions de franchisage».
Des prévisions irréalistes
Mais cette imprévoyance n’est pas le seul grief que les cinq franchisés adressaient à leur franchiseur. Entre autres doléances, ils lui reprochaient également de leur avoir fait miroiter des perspectives de rentabilité irréalistes.
Ainsi, dans le cas d’une des parties plaignantes, Fatiha Haïk, nouvelle venue dans le secteur du voyage, qui fit l’acquisition de la franchise implanté dans le magasin Zellers de la Place Vertu, à Montréal, les prévisions financières du franchiseur faisaient état d’une probabilité de ventes brutes comprise entre 1,35 million $ (la prévision «pessimiste) et 2,79 million $ (la prévision «optimiste») pour une première année d’opération (voit tableau ci-dessous). Le bénéfice brut devait s’élever à 225 525 $ dans le cas du scénario «pessimiste» et à 459 885 $ dans le cas de la projection «optimiste».
Prévisions financières | ||
---|---|---|
Ventes moyennes brutes | Bénéfices bruts | |
Année 1 Réaliste | 1 845 000,00$ | 304 117,50$ |
Année 1 Pessimiste | 135 000,00$ | 222 525,00$ |
Année 1 Optimiste | 2 790 000,00$ | 459 885,00$ |
Année 2 Réaliste | 2 952 000,00$ | 486 588,00$ |
Année 3 Réaliste | 4 132 500,00$ | 681 173,75$ |
Année 4 Réaliste | 5 758 000,00$ | 953 643,25$ |
Année 5 Réaliste | 8 100 000,00$ | 1 335 150,00$ |
Pour justifier ces chiffres, Linda St-Laurent, qui agissait à l’époque comme directrice des opération et responsable de la vente de franchises pour Voyages Vasco, invoquait notamment l’achalandage important du magasin Zellers de la Place Vertu. Or, comme ce fût également le cas pour trois des autres plaignants, les résultats furent loin d’atteindre les prévisions même «pessimistes» présentées par le franchiseur. En fait, même en ne se payant pas de salaire, Mme Haïk s’est trouvée aux prises avec un déficit d’exploitation important.
Dans son témoignage devant la Cour, un autre franchisé, Imed Jebel, qui a exploité l’agence installée dans le magasin Zellers de la Place Alexis Nihon, a déclaré que, lorsqu’il avait reproché à Sylvain Lastère, président de Voyage Vasco Inc. de lui avoir fourni des prévisions irréalistes, ce dernier aurait répliqué que ces chiffres n’étaient destinés qu’à favoriser l’obtention d’un prêt auprès de la banque. Et effectivement, les cinq plaignants ont obtenu auprès de diverses institutions bancaires des PPE (autrement dit des «prêts à la petite entreprise» garantis à 80% par un programme du gouvernement fédéral) pour des montants variant de 70 623 $ à 88 987 $.
Le jugement a fait observer que même si le franchiseur n’est pas astreint à une obligation de résultat, l’écart entre les résultats effectifs et les projections de chiffre d’affaire était trop important, bref que les projections émis par la franchise maîtresse étaient effectivement irréalistes.
Parmi les autres griefs exprimés par les cinq franchisés, on relève également le manque de soutien du franchiseur, notamment en ce qui concerne le marketing et la publicité et d’autres manquements.
Les plaignants
Dans l’ensemble, la Cour a accueilli favorablement les requêtes des plaignants, tout en tempérant certaines revendications et en leur accordant des montants compensatoires réduit par rapport à leurs demandes.
Les plaignants étaient identifiés par leurs numéros de compagnie au Registre des entreprises. En fait, il s’agissait de :
Annie Guillemette et son conjoint, Gilles Garceau, qui exploitaient la franchise Vasco/Zellers du Carrefour du Nord, à Saint-Jérôme. Ils réclamaient 310 100,03 dollars et la Cour leur a accordé une compensation de 190 342,79 $, plus les intérêts au taux légal qui est actuellement fixé à 7%, ce qui donne une somme totale d’environ 260 000 $.
Nathalie Brûlé qui a exploité la franchise du Zellers Place Versailles, à Montréal. Elle réclamait 478 639,82 dollars et a obtenu195 112 $, plus les intérêts courus.
Parallèlement, elle a continué à exploiter, de 2012 à 2015, une agence Vasco avec pignon sur la rue Sherbrooke pour laquelle a cessé de payer des redevances de franchise. Le franchiseur la poursuivait pour une somme de 39 917, 72 dollars à titre de défaut de paiement de redevances. Le tribunal a donné raison à ce dernier et a condamné Mme Brûlé à rembourser cette somme plus les intérêts au taux légal à Voyage Vasco.
Jean-François Lessard et Chantal Giguère, qui exploitaient une agence dans le magasin Zellers de Saint-Georges-de Beauce, réclamaient un montant de 602 663,82 dollars, une prétention que le tribunal a réduite à 245 040,48 dollars.
Imed Jebel, qui a exploité le Vasco/Zellers de la Place Alexis Nihon, à Montréal, a obtenu, pour sa part, 237 860 dollars plus les intérêts sur une demande portant sur une somme de 324 846,92 dollars.
Fatiha Haïk, qui fut propriétaire de la franchise du Vasco/Zellers de la Place Vertu, à Montréal, réclamait 249 299,69 dollars et a obtenu 153 044,55 dollars plus les intérêts.
Les frais de justice ont également été imputés à Voyage Vasco.
Les audiences se sont étalées sur 16 jours, en février 2019. Le jugement est détaillé sur 39 pages. Durant ce long congé de la Fête du travail, il ne nous a pas été possible de rejoindre Sylvain Lastère, président de Voyage Vasco pour recueillir ses commentaires et lui demander s’il entendait faire appel du jugement.
En août 2018, Voyages Vasco Inc avait déjà été condamné à verser une compensation de 241 601 dollars à un de ses anciens franchisés, en l’occurrence Stéphane Valois qui exploitait deux franchises Vasco dans les arrondissements de Chicoutimi et de Jonquière, à Saguenay. Sa convention de franchisage comportait une clause de territoire exclusif. Alors qu’elle courait toujours, Voyage Vasco avait accordé un contrat de franchise, sous la bannière Gama dans le Zellers de Jonquière, c’est-à-dire au cœur du territoire pour lequel M. Valois estimait détenir une exclusivité. Ce dernier a estimé le préjudice subi à 241 601 dollars et le tribunal a accueilli favorablement se demande, mais Vasco a interjeté appel.