Thomas Cook était le 2e plus grand tour opérateur mondial, derrière TUI, autre entreprise germano-britannique. Les chiffres sont impressionnants : 20 millions de voyageurs annuellement, un chiffre d’affaires de 15,6 milliards de dollars canadiens, une centaine d’avions répartis entre une demi-douzaine de compagnies aériennes, plus de 21 000 employés, 23 voyagistes dans 16 pays, 200 établissements hôteliers et 2600 agences de voyages (dont 500 au Royaume Uni). Comment expliquer la chute d’un tel géant?
Parmi les causes invoquées par les chroniqueurs financier pour expliquer la faillite, le Brexit figure en première position. Alarmés par l’impact que la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne pourrait avoir sur leur emploi ou leur niveau de vie, mais aussi effarouchés par la chute de la livre anglaise, nombre de consommateurs britanniques (le premier bassin de clientèle du voyagiste) auraient décidé de reporter leurs voyages à des dates ultérieures.
Mais le Brexit a trop bon dos, estiment certains observateurs. Les canicules des deux derniers étés ont eu un effet réfrigérant sur la demande, et pas seulement au Royaume-Uni. Pourquoi, lorsqu’il fait 35 degrés à l’ombre à Manchester ou à Munich, aller se faire suer davantage en Espagne, au Portugal ou en Grèce, où le thermomètre affiche cinq ou six degrés de plus? Autant aller chercher un peu de fraîcheur dans les campagnes anglaises ou dans les Alpes bavaroises!
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Mais au-delà du Brexit et des caprices climatiques, ce serait du côté du modèle d’affaires adopté par Thomas Cook qu’il faudrait chercher la principale cause de la débâcle. En fusionnant avec MyTravel, en 2011, Thomas Cook s’est lancé à corps perdu dans l’extension de son réseau de détaillants traditionnels, au détriment du développement de ses canaux de ventes sur Internet. Aujourd’hui, il se retrouve avec un réseau de 2 600 agences de voyages «briques et mortier», dont 500 au Royaume-Uni, pendant qu’Airbnb, Booking.com et d’autres géants du Web enregistraient une croissance phénoménale. Face à ces nouveaux joueurs, un voyagiste traditionnel est handicapé par son manque de flexibilité. Ainsi, Thomas Cook devait négocier l’achat de ses chambres pour l’été, six ou huit mois à l’avance, alors qu’un Airbnb, un Booking.com ou n’importe quelle autre OTA (Online Travel Agency) n’ont pas à immobiliser d’énormes capitaux pour sécuriser des inventaires hôteliers en les ajustant au nombre de sièges d’avions qu’ils comptent mettre en service.
Une dette pharaonique
Les investissements dans le secteur hôteliers se seraient également révélés trop coûteux ou inappropriés, prétendent certains analystes qui pointent notamment du doigt la chaîne de luxe Casa Cook (six hôtels boutique entre la Grèce, les Baléares et l’Égypte). Le groupe était propriétaire (ou actionnaire important) de 200 établissements déployés sous huit marques, dont Sentido, Aldiana, Cook’s Clubs… Comment expliquer, alors, que TUI, principal concurrent du failli qui a adopté un modèle d’affaires similaire (celui de l’intégration verticale aérien-hôteliers-détaillants) et qui est actif sur les mêmes marchés s’en tire aussi bien? Ce serait parce qu’il n’a pas traîné le boulet d’une énorme dette, comme ce fût le cas de Thomas Cook depuis la fusion avec My Travel, en 2007. Une dette qui a continué à se creuser à cause du Printemps arabe qui, en 2011, a particulièrement affecté deux des principales destinations du T.O. : la Tunisie et l’Égypte.
Aujourd’hui, elle s’élève à 1,6 milliard de livres sterling (2,6 milliards de dollars canadiens). Les réserves de liquidités étaient exsangues et les banques et autres prêteurs ne suivaient plus.
Le groupe chinois Fosun, également propriétaire du Club Med, était devenu, avec 17% du capital-actions, le principal actionnaire de Thomas Cook. Il a proposé aux autres actionnaires de constituer un capital de survie de 900 millions de livres pour permettre au voyagiste défaillant de se remettre à flot et de se redresser. Lui-même apporterait la moitié de la somme. Aux banques et aux fonds spéculatifs de fournir le reste. Mais la Royal Bank of Scotia (RBS), également actionnaire important de Thomas Cook, et la Lloyd ont estimé qu’il faudrait 200 millions de livres de plus pour permettre au voyagiste de tenir le coup jusqu’à la fin de 2020.
Le gouvernement britannique (qui avait nationalisé Thomas Cook après la 2e guerre mondiale et en est resté propriétaire jusqu’au début des années ’70) a refusé de s’impliquer. Normal, ce sont les conservateurs qui sont au pouvoir et les conservateurs détestent le mot «nationalisation»!
Fosun et les autres actionnaires ont préféré jeter l’éponge. Fin d’une entreprise mythique qui, avec 178 ans au compteur, pouvait se targuer d’être «la première agence de voyages» apparue sur la planète!