Pénurie de main d’œuvre : les choses se compliquent, à moins que…

Qu’ont en commun 24 millions d’Américains qui quittent leur emploi entre avril et septembre 2021, les Chinois du modèle 996, le propriétaire du nouveau café de la gare de Rogersville au N-B et vous, propriétaire d’agence de voyage au Québec?

Une mauvaise et une bonne nouvelles.

On commence toujours par la mauvaise…

Bloomberg, ce site spécialisé dans le domaine des affaires et de l’économie, a lâché les gros chiffres en nous annonçant que 24 millions d’Américains ont démissionné de leur emploi entre avril et septembre 2021.

Dans ce dossier, le Nouvel Obs précise qui sont ces Américains qui démissionnent : « Principalement des travailleurs peu qualifiés en aspiration de meilleures conditions de travail. Les chiffres du Bureau des Statistiques du Travail soulignent que cette augmentation des départs touche de très nombreux secteurs d’activité avec, en tête, l’hôtellerie et les loisirs : plus d’un million de démissions en novembre. »

L’hôtellerie et les loisirs, c’est dans notre jardin à nous tout ça.

Oui, les États-Unis comptent plus de 330 millions d’habitants, donc grosso modo 10 fois plus qu’au Canada, mais non, même en tenant compte du prorata, ces démissions massives ne sont pas normales.

En fait oui, elles seraient « normales ». Dans le contexte actuel. Car voici.

« Sans doute le signe qu’une partie de la jeunesse, marquée par la pandémie, aspire à se réaliser autrement qu’à travers des emplois auxquels ils peinent à donner du sens. Ce questionnement n’est pas nouveau, mais la crise sanitaire a pu agir comme un catalyseur qui a accéléré un phénomène plus profond » poursuit le Nouvel Obs.

Ces démissions sont liées « à la pandémie de Covid-19 et pour certains, à la volonté de privilégier leur « santé mentale » et de quitter un environnement de travail « toxique ». A l’heure des réseaux sociaux, se filmer en train de démissionner est même devenu une tendance virale sur le réseau TikTok » nous annonce le Nouvel Obs en incluant dans son dossier une vidéo où l’on voit une série de petites vidéos de personnes en train de démissionner…

Un phénomène planétaire

On inscrit ce tsunami de démissions dans la catégorie de « phénomène ». Ce phénomène est directement lié à la pandémie donc et ce phénomène a même été baptisé « la grande démission ».

Dans le même feeling des noms de baptêmes, on se souvient de « la grande dépression » des années 30, qui avait déferlé non seulement en Amérique du Nord mais partout sur la planète.

Les raisons et le contexte sont différents mais le phénomène est tout autant planétaire pour ce qui est de « la grande démission ».

La Chine aussi est menacée par les démissions massives

Le Nouvel Obs poursuit:

« En Chine, la culture du travail acharné commence à être critiquée sur internet avec le mouvement « Tang Ping », littéralement « à plat », en français. Une remise en cause du modèle « 996 », travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours par semaine, en pratique dans certaines entreprises chinoises, notamment dans le secteur de la technologie. Le phénomène inquiète particulièrement les autorités, qui ont évoqué « une menace envers la stabilité de la Chine ».

Chez nous

Média spécialisé des professionnels  du marketing, des communications et des RH, Isarta Infos en rajoute une couche dans cet article :

« Les sondages annoncent une vague de démissions sans précédent à la sortie de pandémie. Les futurs «démissionnaires» sont des professionnels soit au bout du rouleau, soit insatisfaits de leurs conditions de travail, soit bloqués dans leur progression de carrière, qui attendaient des jours plus roses pour claquer la porte. »

Cet article date de juillet 2021 et visiblement, beaucoup de démissionnaires n’attendent pas – ou n’attendent plus – la fin de la pandémie pour démissionner.

Isarta cite le chercheur Anthony Klotz, professeur associé en gestion à l’Université du Texas A&M:

« Premièrement, en raison de l’incertitude créée par la pandémie, plusieurs employés qui auraient autrement quitté leur emploi ont décidé de rester. (…) À mesure que la pandémie se résorbe, ces quitteurs potentiels qui se sont tenus «à l’abri de la tempête» pendant l’année passée vont mettre en action leur plan démission. En fait, cette vague de départs est déjà entamée: le taux de départ était de 2,4 % en mars [aux États-Unis], ce qui est un taux record pour ce mois dans les vingt dernières années. En résumé, les démissions retardées par la pandémie se mettent actuellement en branle.»

Dans un dossier sur le sujet, Radio-Canada publiait ceci : « Plusieurs personnes ont complètement remis en question leur emploi et leur mode de vie pendant la pandémie. Le phénomène est très fort aux États-Unis, et il commence à se répandre au Canada. »

Comme plusieurs médias l’ont fait également avant aujourd’hui, ce dossier raconte des histoires vécues, en ce moment, de gens qui ont pris la décision de donner un grand coup dans leur vie professionnelle – et par extension, dans leur vie personnelle.

L’une des personnes citées en exemple, Luc Doucette, raconte ses réflexions qui l’ont amené à changer de travail, changer de province, et miser sur un rêve à la hauteur de ses aspirations de douce tranquillité et plus humaines : ouvrir un café à la gare de Rogersville, au Nouveau-Brunswick.

« Après des mois dans leur appartement du Plateau Mont-Royal, ils ont décidé de tout laisser derrière pour revenir au Nouveau-Brunswick » indique Radio-Canada.

« On a retrouvé de l’espace, on a retrouvé de la famille, on s’est fait de nouveaux amis aussi à Rogersville, on a retrouvé une sorte de nostalgie je dirais en Acadie, donc on retrouve ce sens d’appartenance », explique Monsieur Doucette.

Cette grande décision, lui et sa conjointe l’ont prise durant le moment d’arrêt imposé par la COVID-19.

« C’est sûr que la pandémie a forcé les gens à réfléchir à c’est quoi leurs vraies valeurs, et quand tu mets une pause sur le métro-boulot-dodo, la routine du quotidien, c’est sûr que c’est un bon temps pour réfléchir. »

La bonne nouvelle

Pourquoi raconter et citer tout ça?

Parce qu’il faut repérer les bonnes nouvelles, car sinon on risque de mettre le plan d’affaires dans le bac de recyclage.

Les choses se compliquent, à moins que…. ceci :

Une démission n’est généralement pas une bonne nouvelle, mais c’est le phénomène qui se produit actuellement qui est, d’une certaine façon, une bonne nouvelle, ou en tout cas perçu comme une bonne nouvelle par les analystes de la société de demain.

Car ils observent la situation sous cet angle : notre société serait en train de passer d’employés salariés j’encaisse-mon-chèque-de-paye-merci-à-la-semaine-prochaine à employés engagés.

Autrement dit, l’employé version post-pandémie sera plus motivé, plus impliqué, plus soucieux. Et l’employé dans votre agence, on peut alors l’espérer dorénavant plus motivé, plus impliqué, plus soucieux de son travail.

Isarta a publié ici un dossier sur les notions du sens au travail et ajoute ceci :

« D’une part, les travailleurs doivent trouver les motivations intrinsèques qui les poussent à se dépasser; ils doivent trouver un sens à leur travail. Ils auront ainsi plus de chance d’augmenter leur satisfaction et leur bien-être au travail. »

Donc de meilleurs employés.

« D’autre part, les entreprises ont tout intérêt à se montrer plus ouvertes et plus flexibles, par rapport aux besoins de soutien et d’accompagnement de leur main-d’œuvre. »

Donc de meilleurs employeurs.

Le coup de pouce de l’ATOQ

Dans son infolettre de janvier, l’Association des Tours Opérateurs du Québec consacre un sujet… sur le sujet et qui a pour titre « Pourquoi la façon dont nous travaillons ne fonctionne plus? »

Le titre peut être décourageant pour qui est épuisé de toujours tout remettre en question, mais c’est ainsi que fonctionne notre époque. Au temps de nos grands-parents, un changement de société s’étirait sur des décennies. Aujourd’hui, c’est une question de mois.

Image d’accueil du podcast «pour se préparer aux changements qui attendent les #talents et la #force de travail en 2022.»

« La pandémie a révélé des fissures dans notre façon de travailler, qui est restée bloquée à l’ère industrielle » indique l’ATOQ en invitant le lecteur à écouter ce podcast « pour se préparer aux changements qui attendent les #talents et la #force de travail en 2022. »

Ces détails qu’on n’explique pas

Si des indices peuvent nous présager que ce phénomène se révélera positif, puisque tous et chacun sont appelés à devenir de meilleurs travailleurs, collègues de travail et employeurs, entre vous et moi et les départements des comptes à payer toutefois, un point ne s’explique pas en ce moment : qui payent les factures pendant ce temps-là?

L’endettement des Canadiens nous a été, plus d’une fois, confirmé.

Désolée.

Le surendettement.

Avant la pandémie, on nous annonçait chaque année à grands coups de statistiques que bon nombre de Canadiens dépensaient plus que leurs revenus.

En 2018, la Banque du Canada publiait ceci : « la dette des ménages représente quelque 170 % du revenu disponible ».

« Selon l’agence fédérale, la dette des ménages exprimée en pourcentage du revenu disponible est passée à 170,7 % au troisième trimestre, comparativement à 162,8 % au deuxième trimestre » nous informait également La Presse Canadienne en décembre 2020.

Si les employés démissionnent en aussi grand nombre, comment les factures vont-elles être acquittées? Les clés vont-elles partir au vent? Ou les bons employés se pointeront-ils bientôt à votre agence?

Plus d’infos sur le sujet

Si vous souhaitez lire davantage sur le sujet de la pénurie de main d’œuvre dans notre industrie du voyage, voici les liens qui vous amèneront au dossier spécial sur le sujet, publié chez Open Jaw Québec :

Une pénurie de main-d’œuvre menace-t-elle aussi notre industrie?

Pénurie de main-d’œuvre : que vivent et pensent voyagistes, associations et regroupement d’agences?

Être agente en période de pénurie/pandémie : le témoignage de Manon Doucet

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Détentrice d’un baccalauréat en journalisme de l’Université Laval, Isabelle débute sa carrière de journaliste en voyage en 1995. Ses articles et reportages ont voyagé dans les magazines L’agent de voyages, Voyager et Tourisme Plus, Atmosphère d’Air Transat et le Journal Le Devoir, entre autres. Elle est co-autrice de quatre guides chez Rudel Médias (25 destinations soleil pour les vacances) et aux Éditions Ulysse (Voyager avec des enfants, Fabuleux Alaska/Yukon, Longs séjours à l’étranger). Depuis 2006 aussi, elle présente des conférences devant public.